When breastfeeding sucks : retour sur l’ouvrage de Zainab Yate
Avis d’une consultante en lactation IBCLC sur un ouvrage qui a pour thème l’aversion au sein.
Est ce qu’on peut aimer et détester l’allaitement à la fois ? Détester être la seule à pouvoir nourrir son enfant qui refuse le biberon ? Détester être réveillée 15 fois par nuit, détester ce contact physique intense jour et nuit?
Zainab Yate , chercheuse anglaise, conseillère en allaitement pour le National Health Service du Royaume-Uni et fondatrice du site web Breastfeeding Aversion répond à toutes ces questions dans le livre « When breastfeeding sucks ».
Alors que l’on connaît tous les bénéfices liés à l’allaitement et que l’on souhaite allaiter, on peut se retrouver avec l’envie puissante de décrocher son bébé du sein, ressentir une colère intense, des émotions très négatives.
L’auteur décrit comment ces émotions peuvent survenir à tout moment d’un allaitement, de manière ponctuelle ou quotidienne voire même, à chaque tétée. Et comment on peut détester allaiter, et vouloir continuer en même temps.
Pour cela elle nous introduit à différents concepts:
- le toucher : habituellement le peau à peau, le contact rapproché sont censé participer à la création d’un lien intense entre la mère et son enfant. L’auteur décrit ici comment, lorsque l’enfant grandit (bambin, enfant plus âgé), l’impression d’être touchée sans donner son consentement peut survenir.
- la maternité et l’importance de l’allaitement pour une mère, afin d’expliquer pourquoi une mère est prête à continuer à allaiter malgré ces sentiments négatifs d’aversion. L’auteur replace la maternité dans le contexte historique, expliquant qu’à présent pour être une bonne mère il faut être dévouée corps et âme à son enfant, sans soutien « d’un village », alors même que les contraintes de la vie active rendent cette équation quasiment impossible. Elle décrit une impression d’être tenue en otage, prisonnière de la relation d’allaitement.
Puis, l’auteur nous décrit les situations les plus fréquentes où on retrouve ce sentiment d’aversion : lorsque l’on allaite pendant la grossesse, durant l’ovulation, durant les règles, lorsque l’ enfant triture le mamelon, caresse le cou, bouge. La sensibilité sensorielle, la douleur persistante (vasospasme, freins de langue, etc) , l’histoire personnelle de violence ou d’abus sexuels peuvent contribuer au développement de cette aversion. L’auteur fait la distinction avec le réflexe d’éjection dysphorique, qui est une sensation qui dure simplement quelques minutes et car les émotions ressenties sont différentes. Les femmes qui vivent cette aversion ressentent également beaucoup de honte et de culpabilité, et une grande confusion puisqu’elles ne comprennent pas elles-mêmes pourquoi elles continuent à s’infliger cela. Beaucoup pensent être seules à ressentir ces émotions et n’osent pas en parler, car c’est tellement loin de l’image dorée que l’on est censée véhiculer lorsque l’on allaite.
Elle explique les mécanismes physiologiques qui pourraient expliquer ces émotions négatives.
L’auteur aborde aussi le thème du sevrage et à quel point il peut être compliqué de sevrer un bambin qui peut être extrêmement attaché aux tétées et entretenir cette aversion. L’auteur compare les comportements des bambins qui sont attachés à l’allaitement à ceux observés chez une personne ayant une addiction, elle explique que les bébés ont l’instinct de se nourrir au sein pour survivre mais cela devient plus une habitude qu’un besoin et que cette habitude devient quelque part une addiction qui entraîne des comportements addictifs ( ainsi l’allaitement devient indispensable pour le sommeil par exemple).
Elle s’interroge également sur la possibilité que cette aversion soit finalement un signe biologique que le sevrage est nécessaire, et elle pointe également l’énergie phénoménale que peut nécessiter un sevrage de bambin.
Elle envisage également le rôle de la société actuelle, du rythme effréné imposé aux femmes, à la fois mères, professionnelles, et le fardeau que cela représente, le manque de préparation à la réalité de la maternité, l’isolement qui peut également conduire à cette aversion lorsque l’on n’a aucun relais pour aider à la prise en charge des enfants.
Le fait « qu’être mère n’est pas suffisant » dans notre société moderne qui nous contraint à avoir des attentes et des buts « supérieurs » (études , carrières) sans nous fournir l’aide nécessaire pour le faire, en nous mettant la pression pour allaiter. Dans cette même société on nous fait honte si on allaite en public, si on n’allaite pas, et on laisse des compagnies abuser de notre vulnérabilité en faisant un marketing de produits délétères pour la santé.
On devrait tout faire, tout avoir dans notre société individualiste: une carrière, des enfants, une vie sociale, une vie saine, une maison bien rangée, etc… Toutes ces forces contraires, cette dissonance, peuvent, selon Zainab Yate , contribuer à l’aversion à l’allaitement.
Elle décrit également les mécanismes physiologiques de contagion du stress ,et de co-régulation entre la mère et l’enfant. Elle souligne que l’avalanche d’informations contradictoires données aux parents après la naissance génère également du stress. Si la mère est stressée en allaitant, le bébé peut vouloir encore plus téter car il sent cette émotion et cherche à se rassurer.
Finalement, toutes les raisons d’être stressée et anxieuse suite à la grossesse et la naissance (y compris les conditions de l’accouchement avec l’usage d’ocytocine de synthèse) peuvent favoriser l’aversion.
Elle explore aussi l’autonomie (la liberté de choisir ) face à la responsabilité de s’occuper d’un bébé hurlant de faim, et la pression « d’être la mère idéale » promue par la société. L’allaitement « naturel » dans un monde où rien n’est naturel, ni la lumière, ni la nourriture ultra-transformée, ni les loisirs (écrans) , ni les interactions sociales (petits théâtres des réseaux sociaux où chacun se met en scène).
Les facteurs de risque de développer une aversion sont abordés en détail, et elle réalise des propositions pour surmonter l’aversion , comme par exemple résoudre les problèmes de douleurs à l’allaitement ou noter son cycle menstruel (afin de savoir quand on risque d’être touchée par l’aversion).
En conclusion, ce livre est intéressant, et, même s’il est basé sur une étude réalisée par l’auteur auprès de nombreuses femmes, il est teinté par l’expérience personnelle de l’auteur, et sa vision de la maternité, avec une analyse pertinente du rôle de la société moderne dans cette vision. Avec honnêteté elle nous décrit toute la noirceur de la maternité, et le droit des mères d’être imparfaites.
À plusieurs reprises, lors de la description très détaillée des causes de l’aversion et difficultés liées à l’allaitement, on peut se faire la remarque que l’allaitement d’un bambin n’a pas à être de l’esclavagisme, et qu’une mère peut également apprendre à poser en douceur des limites à l’enfant, mais aussi, face à une situation aussi stressante chercher de l’aide pour trouver du répit et alléger le nombre de tétées (conjoint, famille, amis, associations, etc)si elle ne souhaite pas sevrer. Surtout si cela peut permettre de lui éviter de développer des sentiments négatifs vis-à-vis de l’enfant. L’auteur pointe du doigt le rôle de la société et l’isolement des mères. Finalement arrive en toute fin d’ouvrage le chapitre sur la résolution de l’aversion et enfin l’auteur conclut qu’effectivement établir des limites avec douceur dès le début est important.
C’est un ouvrage assez long et complexe à lire mais qui a le mérite d’aborder un sujet dont on ne parle jamais, et d’ouvrir la discussion pour rompre l’isolement de mères en détresse dans leur allaitement.
Présentation par Elise Armoiry, Consultante en Lactation IBCLC
Mots clés : difficultés d'allaitement, lecture et ressource du cerdam