Accompagnement des mères neurodivergentes dans leur allaitement

 La neurodiversité est un terme utilisé pour décrire les variations de fonctionnement des cerveaux humains, par exemple la façon dont ils traitent les informations sociales et sensorielles, attribuent l’attention, et planifient et exécutent les mouvements. La neurodivergence est un terme non médical qui englobe de multiples différences de développement “atypiques”. Plusieurs des diagnostics et conditions les plus courants qui lui sont associés comprennent la condition du spectre autistique (ASC), le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), la dyslexie et la dyspraxie, les troubles obsessionnels compulsifs (1,2).Le nombre de personnes neurodivergentes est probablement largement sous-évalué, et en Angleterre on estime que 700000 personnes sont autistes, 1,5 millions pourraient avoir une hyperactivité, 16% de la population ont des troubles sensoriels, et 750000 personnes ont des troubles obsessionnels compulsifs (2).

Les femmes sont souvent sous-diagnostiquées, et découvrent généralement leur condition lorsque leur enfant fait l’objet d’un diagnostic. 

L’allaitement comprend de nombreuses sensations visuelles, tactiles, auditives, olfactives, vestibulaires et proprioceptives complexes, et les personnes neurodivergentes peuvent être exposées à des expériences difficiles lors de l’allaitement en raison de stimuli sensoriels importants. On pourra observer des réponses hyposensitives (par exemple: une mère qui ne sent pas un engorgement jusqu’à être à un stade très avancé) ou hypersensitive (par ex: une grande sensibilité aux sensations de seins remplis, d’humidité des mamelons, etc qui génèrent des réactions de stress intense). Il sera alors compliqué pour la consultante en lactation d’utiliser des stratégies classiques d’évaluation comme les échelles de douleur (2). Le fait que l’allaitement se fasse en position statique peut également représenter un challenge, donner l’impression d’être coincée, comme paralysée. Un des sens est le sens vestibulaire, et certaines personnes neurodivergentes ont besoin de mouvement pour se sentir plus confortable.

Il peut y avoir également des difficultés dans les fonctions exécutives (planifier, se concentrer, se rappeler et mettre en place une action): il se peut que les instructions données pour la position au sein soient compliquées à mémoriser. (2)

 

Cas particulier de l’Autisme

A la récente conférence des consultantes en lactation anglaises (2023), le Dr Aimee Grant expliquait toutes les difficultés que peuvent rencontrer les mamans autistes dans leur allaitement. L’accueil d’un nouveau-né peut apporter son lot de challenges: au niveau de l’environnement sensoriel, en terme de changement des routines quotidiennes, et il est nécessaire d’ajuster les stratégies d’adaptation (3).

En terme d’accompagnement et de soutien à l’allaitement, il peut y avoir des difficultés à accéder au soutien (par exemple à aller dans un groupe de soutien de mère à mères, où il y a beaucoup de personnes, il fait chaud…).

Une adaptation des professionnels de santé est très importante. Cela peut consister à:

  • adapter l’environnement visuel (pas trop de posters dans les salles, lumières douces), sonore (environnement calme). Cela conviendra également pour les personnes épuisées, ou ayant de l’anxiété, une dépression.
  • Proposer différentes options pour s’asseoir, certaines permettant le mouvement ( ballon de yoga), et une option au sol avec des coussins: lorsqu’elles sont dépassées émotionnellement, il arrive que les mères aient besoin de s’asseoir au sol pour se sentir plus enracinées.
  • adapter son attitude: demander où la maman souhaite que l’on se place plutôt que s’asseoir directement à côté de la mère qui allaite, demander si on peut la toucher avant de le faire (et à vrai dire cela ne concerne pas que les mamans autistes), préférer les options d’explications où l’on ne touche pas la personne mais où l’on montre les positions avec une poupée, et en cas de visite à domicile demander où la maman est la plus à l’aise pour allaiter
  • être rigoureux en terme de communication
    • proposer une explication sur le déroulé de la consultation, des photos de la salle de consultation et de la consultante 
    • Être dans l’écoute et l’acceptation : très souvent les personnes neurodivergentes ont pris l’habitude de masquer leur ressenti qui est toujours perçu comme “trop intense”, ou “bizarre”, et cela entraîne une baisse de confiance en soi. Accueillir et écouter, afin de créer un lien de confiance est important (2). Avec ce lien de confiance, la mère pourra se détendre afin que les stratégies proposées soient plus efficaces.
  • vérifier le niveau de connaissance de la maman (très souvent les mamans autistes recherchent un maximum d’information sur le sujet), fournir une information claire et précise, sourcée avec des références, information écrite comportant le résumé de la consultation.
  • Les mamans autistes ont souvent une grande détermination à allaiter et pourront avoir tendance à voir les choses de manière très tranchées (le lait maternel c’est bon, le lait industriel est mauvais): aussi il faudra fournir des références si l’on doit expliquer l’importance de mise en place de compléments 
  • être ponctuel, et prévenir si on a du retard: sachant que parfois les personnes arrivent en avance car elles ont besoin de temps pour s’acclimater à l’environnement. Envoyer des emails ou sms plutôt que téléphoner, car le téléphone est souvent stressant. Bien envoyer les informations comme convenu, car cela peut générer de l’anxiété d’attendre.
  • être conscient des différences en terme de sensorialité: il se peut qu’une mère ne ressente pas la douleur, ou qu’elle soit au contraire dépassée par des sensations (chaleur du bébé , bruit de succion déglutition, sensation du reflexe d’éjection)
  • adapter le langage en étant précis, et décomposer les actions en étapes .

Henni Stiller, spécialiste de la neurodivergence et IBCLC (1), explique qu’il n’est pas évident de détecter des signes de neurodivergence, et poser la question dans le questionnaire de consultation permettrait de s’adapter aux challenges spécifiques rencontrés par les mères. 

Lucy Ruddle, IBCLC en Angleterre, ajoute qu’étant donné le sous-diagnostic de neurodivergence chez les femmes adultes et le nombre important de personnes concernées, il serait intéressant  d’ajuster sa pratique pour prendre en compte ces particularités, et rendre l’environnement sensoriellement plus adapté.

Ce thème était également traité lors des  conférences françaises et  anglaises de La Leche League 2023 ainsi que le thème de l’allaitement d’un enfant autiste, qui comporte également ses particularités, puisque l’allaitement peut représenter un régulateur émotionnel fondamental (4). 

Bibliographie 

  1. The Neurodivergent Lactation Experience, Author: Genny Stiller, Elacta 2023
  2. Supporting Neurodivergent Parents to Breastfeed, Author: Lucy Ruddle IBCLC, Elacta 2023
  3. Lactation Consultant of Great Britain Conference 2023. Supporting autistic people to breastfeed. Dr Aimee Grant.
  4. LLLGB National Workshop 11 novembre 2023, Emily Lunny.Breastfeeding and autism

 

Pour Aller plus loin

 

Rédaction Elise Armoiry, Dr en Pharmacie, Consultante en lactation IBCLC

Publication Ll. C.  Documentaliste

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