Facteurs sociaux, organisationnels et institutionnels du maintien de l’allaitement maternel en contexte professionnel

15 novembre 2025 |

L’étude de Duflot et al. propose une synthèse narrative des connaissances sur les influences contextuelles qui déterminent la poursuite de l’allaitement après la reprise du travail en France. Dans un pays où les durées d’allaitement sont parmi les plus faibles d’Europe et où le retour à l’activité professionnelle constitue le premier motif de sevrage une fois l’allaitement établi, les auteurs cherchent à comprendre les obstacles spécifiques rencontrés par les mères souhaitant concilier allaitement et emploi. La revue identifie 35 études issues majoritairement de sources françaises mais complétées par des travaux occidentaux lorsque les données nationales étaient rares. Elle montre que la reprise du travail avant quatre mois constitue un facteur de sevrage constant, en lien direct avec la brièveté du congé maternité. La durée normative de l’allaitement en France semble d’ailleurs se caler sur celle du congé postnatal, ce qui révèle une influence structurelle majeure des politiques publiques sur les pratiques des familles.

La conciliation entre travail et allaitement apparaît difficile pour la majorité des mères françaises, qui évoquent stress, contraintes temporelles, manque de soutien, et conditions matérielles insuffisantes pour tirer leur lait sur le lieu de travail. Les rythmes professionnels, l’absence d’espaces dédiés, la difficulté à bénéficier de pauses adaptées ou rémunérées, ainsi que la crainte de l’impact du tirage sur la carrière ou la perception par les employeurs constituent des freins récurrents. Les milieux professionnels modestes et les emplois soumis à des contraintes horaires rigides semblent particulièrement défavoriser la poursuite de l’allaitement. À l’inverse, des aménagements tels que des pauses d’allaitement, une flexibilité horaire, des salles de lactation ou des programmes d’entreprise dédiés sont associés à des durées d’allaitement plus longues, avec un effet « dose-réponse » selon le nombre de soutiens mis à disposition.

Au-delà des aspects organisationnels, l’étude met en lumière l’importance des influences sociales et familiales. Le soutien du co-parent apparaît déterminant, à travers une aide pratique et émotionnelle permettant de diminuer la charge quotidienne et de renforcer la confiance maternelle au moment du retour au travail. Les collègues et supérieurs hiérarchiques jouent également un rôle clé : un environnement bienveillant et informé favorise la poursuite de l’allaitement, tandis qu’un climat de stigmatisation ou de méconnaissance contribue au sevrage précoce. Les normes sociales, encore marquées en France par une faible visibilité de l’allaitement après le congé maternité, influencent fortement la manière dont les mères perçoivent leur légitimité à allaiter en milieu professionnel.

Le soutien des professionnels de santé, en particulier des médecins généralistes, reste insuffisant, malgré les recommandations nationales appelant à aborder systématiquement la question de l’allaitement lors de la reprise du travail. Les auteurs soulignent le manque de formation, la persistance d’idées reçues, et les conseils parfois inadaptés, incluant des propositions fréquentes de prolongation d’arrêt maladie ou de sevrage anticipé. Les structures d’accueil du jeune enfant constituent un autre maillon essentiel, mais leur rôle de soutien est jugé limité : lacunes dans la gestion du lait maternel, réticences institutionnelles, pratiques hétérogènes, et faible formation du personnel contribuent à rendre l’accueil des enfants allaités insuffisamment favorable.

La discussion met en évidence la nécessité de politiques publiques ambitieuses : allongement et indemnisation du congé maternité selon les standards internationaux, reconnaissance et rémunération des pauses d’allaitement, création d’espaces dédiés accessibles à toutes les salariées, meilleure information des employeurs et harmonisation des pratiques dans les crèches. L’article souligne également l’importance d’un changement culturel plus profond, impliquant une meilleure éducation de l’ensemble de la société sur l’allaitement, une visibilité accrue, ainsi qu’un soutien renforcé des co-parents et des acteurs périnataux. Les auteurs concluent que le maintien de l’allaitement après la reprise du travail, loin d’être une responsabilité individuelle maternelle, nécessite un engagement sociétal global et coordonné pour être véritablement possible.

Référence

Duflot F, Erpeldinger S, Flori M, Deplace S, Zorzi F. Influences contextuelles du maintien de l’allaitement après la reprise du travail en France. Sante Publique. 2024;36(4):33-42. French. doi: 10.3917/spub.244.0033. PMID: 40388249.

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