Présentation de l’ouvrage “ Safe Sleep”, de James Mc Kenna, anthropologue américain et spécialiste de la prévention de la Mort Inattendue du Nourrisson (MIN)
Avis d’une consultante en lactation IBCLC sur un ouvrage qui a pour thème le cosleeping.
Dans cet ouvrage, l’auteur nous explique pourquoi la proximité du petit humain et de sa mère, jour et nuit, est primordiale après la naissance. Le petit humain naît immature, et le lait maternel a une composition nécessitant des tétées fréquentes et un contact rapproché.
Il revient également sur la culture du cosleeping ( partage du sommeil), et fait la distinction selon le lieu où se déroule le sommeil:
-parent et bébé sur la même surface du sommeil (bedsharing: dans le lit, ou dans le canapé, dans un fauteuil),
– bébé sur une surface différente mais à portée de main (lit cododo),
– bébé dans un berceau dans la chambre des parents
Il donne des exemples de différents pays, et explique que chaque culture a sa façon de pratiquer le cosleeping. A Hong Kong, où le cosleeping est très fréquent, le taux de MIN est bas.
Il explique que le besoin biologique de dormir proche de son bébé est puissant, et en Amérique du nord entre 25 et 80 % des parents partagent leur lit avec bébé régulièrement.
Bien entendu, l’acceptation sociale de ces pratiques est variable en fonction des cultures.
Dans les pays industrialisés, il replace le cosleeping dans son contexte historique: il y a 500 ans, des mères de famille étouffaient leurs bébés pour contrôler la taille de la famille, puisqu’elles ne pouvaient pas nourrir toutes les bouches. L’église a donc condamné le fait de partager son lit avec le bébé. Puis avec le développement du lait industriel, et des pratiques de puériculture, avec une approche très scientifique de la maternité, on a expliqué aux parents que leur bébé devrait dormir seul, dans sa chambre. L’objectif était d’élever des enfants autonomes et indépendants, avec la croyance que l’indépendance doit débuter à la naissance.
En 1950 , avec les bébés qui dormaient sur le ventre et seuls dans leur chambre et le lait industriel, on a observé une épidémie de MIN.
L’instinct parental a donc cédé sous le poids de l’autorité médicale… et James Mc Kenna souligne que ces recommandations étaient émises par des hommes qui ne s’étaient jamais occupés de leur enfant.
L’auteur développe ensuite les bienfaits liés à la proximité physique entre le parent et le bébé et explique que l’enfant a besoin de sentir son parent pour se sentir en sécurité.
Il revient sur les politiques de santé publique qui, dans le but de prévenir la MIN, mettent en garde les parents sur le partage de la surface de sommeil avec le bébé, sans faire de distinction sur la surface utilisée (lit, canapé, fauteuil à bascule), et les facteurs de risques associés.
45-60 Millions d’années d’évolution de primates ont montré qu’une mère peut répondre aux besoins de son enfant la nuit, et selon James Mc Kenna, perpétuer l’idée que le corps de la mère représente un risque inhérent pour l’enfant est insupportable scientifiquement et également dangereux.
Il revient sur les recommandations de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP), qui considère que tout partage de la surface de sommeil est dangereux et augmente le risque de MIN et de suffocation. Des campagnes de publicité “anti-partage du lit” sont menées…. avec un premier effet: les parents ont honte d’aborder le sujet du partage du lit, et évitent le sujet ou mentent aux professionnels de santé. Pour essayer de suivre les recommandations, les études montrent que les parents sortent de leur lit et vont s’installer dans le canapé, ou un fauteuil lors des réveils nocturnes. Au risque de s’endormir, bébé dans les bras, sur une surface à risque de chute et de suffocation.
Les causes de la MIN sont décrites comme une incapacité à se réveiller d’un sommeil profond.
De la même façon qu’un bébé qui meurt dans un berceau n’est pas une victime du berceau, un bébé qui meurt dans un lit d’adulte ne meurt pas uniquement à cause de ce lieu.
Il existe des facteurs de risque spécifiques liés à l’enfant: prématurité, maladie congénitale, des facteurs de risques extérieurs: tabagisme pendant la grossesse et après, lait industriel, manque de contact corporel ou de stimulation, position ventrale pour dormir, température trop élevée, et le fait de dormir dans une chambre séparée des parents.
Les études concernant la MIN sont ensuite abordées en détail.
Il apparait que le cosleeping permet plus d’inspections maternelles dans la nuit, plus de micro-réveils du bébé, qui se réveille par exemple lorsque la mère tousse, et avec l’odeur du lait.
Allaiter et le cosleeping sont interconnectés biologiquement et comportementalement et l’auteur explique le concept du Breastsleeping (Dormallaitement): c’est une forme de sommeil avec partage du lit qui permet des tétées fréquentes, une stimulation de la lactation, des inspections fréquentes du bébé par la mère.Plus il y a de tétées, plus le sommeil est léger et le bébé “s’entraine” à se reveiller.
L’auteur souligne que le concept de dormir toute la nuit est une attente irréaliste , il s’agit d’un concept des cultures occidentales. Selon lui, l’idée que les bébés ont besoin d’apprendre à dormir est un mythe , une construction sociale qui menace l’allaitement et le développement des cerveaux des bébés.
James Mc Kenna explique ensuite les biais qu’il relève dans les études utilisées par l’Académie américaine de pédiatrie concernant la MIN:
- biais de diagnostic (ex: bébé qui décède dans le lit du parent mais qui dormait sur le ventre)
- problème de récolte des données: dans certaines études épidémiologiques les données sont manquantes sur de possibles facteurs de risque: alcool, drogue, position du bébé,
- problème de classification des données: les localisations sont confondues: canapé, lit parental, fauteuil…
- certains facteurs de risques associés ne sont pas pris en compte: une femme obèse dormant sur un canapé avec son bébé sera classée “partage du lit”(sans tenir compte de l’obésité),
- les parents ont tendance à répondre “ce qui est juste”: ils cachent le fait qu’ils partagent leur lit avec bébé (qui a survécu) . En Angleterre , sur 600 mères, 46% mentent et dorment avec leur bébé « en secret », par peur des critiques ou des services sociaux.
- l’aspect socioéconomique et les risques associés sont occultés : dans les communautés à faibles revenus, du fait du manque d’espace, le bébé peut partager le lit avec un homme qui n’est pas de la famille, avec des frères et soeurs, dans un petit lit coincé contre un mur. Ce type de partage du lit “chaotique”, par nécessité et non en tant que technique parentale, est un risque supplémentaire.
L’auteur souligne qu’ il y a donc un biais de sélection dans la revue des preuves, qui reflète les valeurs sociales individualistes et la foi en la technologie plus que dans le corps maternel.
Pour lui, les recommandations seraient plus efficaces en étant moins rigides, et depuis les campagnes de publicité anti-partage du lit on n’a pas observé de diminution des MIN mais une augmentation.
Il argumente que les études, telles qu’interprétées par l’AAP, donnent donc une vision erronée de la problématique du risque inhérent au partage du lit. Et il y a une contradiction dans le fait d’une part de recommander un an d’allaitement (recommandation américaine de l’AAP), et d’autre part de déconseiller vivement le partage du lit: c’est mettre les parents en situation d’échec et de culpabilité.
Finalement, l’auteur explique tous les facteurs de risques relatifs à la MIN, en fonction de la localisation du sommeil partagé (lit parental , lit cododo, canapé, …), des conditions de l’enfant (prématurité, etc) , des parents (tabagisme, tabac, alcool,).
Il propose, en cas de partage du lit parental, de renforcer au maximum la sécurité: matelas au sol, au centre de la pièce, cheveux de la mère attachés, bébé du côté de la mère qui allaite.
J’ai beaucoup apprécié les réponses à des questions spécifiques: sur l’intérêt des moniteurs de respiration, sur l’emmaillotage ou sur le partage du lit des jumeaux par exemple.
En conclusion, c’est un livre très dense, un recueil d’informations sur la prévention de la MIN et d’explications sur les mécanismes biologiques et évolutifs qui expliquent le besoin de proximité des bébés, jours et nuits. L’auteur est très véhément sur la nécessité de rendre aux parents la liberté d’un choix éclairé concernant l’endroit où dormira leur bébé.
Pour moi il s’agit d’un livre intéressant à lire pour tout professionnel de la périnatalité, afin de pouvoir discuter ouvertement avec les parents et les éduquer concernant les risques associés au partage du lit.
Glossaire
Définition de la MIN (site de Santé Publique France)
La « mort inattendue du nourrisson » (MIN) est définie comme « le décès subit d’un enfant âgé de 1 mois à 1 an jusqu’alors bien portant, alors que rien dans ses antécédents connus ni dans l’histoire des faits ne pouvait le laisser prévoir » [1]. Le décès a lieu le plus souvent durant son sommeil. Au terme d’un bilan étiologique exhaustif (anamnèse, examen du lieu de décès, examen clinique, prélèvements biologiques, imagerie, autopsie) , cette MIN peut être attribuée à une origine infectieuse, génétique, cardiaque, métabolique, traumatique, accidentelle, etc. En l’absence d’explication (environ 50 % des cas), on parle alors de mort subite du nourrisson (MSN) .
Rédaction: Elise ARMOIRY, Dr en Pharmacie et Consultante en Lactation IBCLC
Publication:Ll. C.
Mots clés : allaitement, biais, breastsleeping, dormallaitement, recommandations, sécurité, sommeil partagé