Allaiter un enfant né prématurément
J’ai confiance en mon lait
Pour la journée de la prématurité, nous vous proposons de découvrir un article sur le ressenti des mères tirant leur lait pour leur enfant prématuré. Il est en général recommandé de tirer son lait 8 fois par 24h lorsque l’on a un enfant hospitalisé en néonatalogie, ce qui représente beaucoup de temps et d’énergie dans un contexte post-partum déjà anxiogène. Il est important de reconnaître le ressenti des mères pour les encourager dans ce processus.
Le but de cette étude était de décrire la perception des mères vis à vis du tirage de leur lait pour leur nourrisson de très faible poids à la naissance (<1 500 g) hospitalisé dans l’unité de soins intensifs de néonatalogie (USIN) d’un hôpital américain.
Après une naissance prématurée, la mère est souvent dans un état de vulnérabilité émotionnelle intense, avec des réactions telles que la confusion, l’anxiété, la culpabilité, l’isolement, le désespoir, le deuil, ou l’espoir. Il y a souvent un décalage dans de développement du lien avec le nourrisson, en raison des conditions de la naissance et de la séparation, mais aussi de stratégies d’autoprotection de la mère face à son enfant très fragile.
Le lait maternel est essentiel pour réduire le risque de morbidité spécifique chez les prématurés pendant et après l’hospitalisation en néonatalogie, et il a aussi longtemps été considéré comme la «seule chose que seule la mère pouvait faire. »
Différentes études ont rapporté que le tirage de leur lait apporte aux mères d’enfants prématurés un but et une valorisation et les aide à sentir un lien avec leur nourrisson. Cela leur permet de soulager la culpabilité liée à la prématurité et à renforcer leur rôle de « Bonne » mère.
À l’aide d’un descriptif qualitatif, des entretiens approfondis semi-structurés ont été menés auprès de 23 mères de nourrissons de très faibles poids de naissance hospitalisés dans une USIN de niveau III. Les mères ont été invitées à partager leurs perceptions sur ce que le fait de tirer leur lait signifiait pour elles.
Ces 23 mères étaient majoritairement primipares et issues de milieux à faible revenu. Sur les 23 mères, 6 ne souhaitaient pas initialement allaiter mais ont changé d’avis après discussion avec le personnel de néonatalogie et explication des bénéfices du lait maternel chez l’enfant prématuré.
Il faut noter que dans cet hôpital, le protocole d’accompagnement de l’allaitement comprenait : un entretien avec une mère « marraine » en allaitement (ancienne mère de néonatalogie ayant tiré son lait) et avec le médecin du service avec pour thème les bénéfices uniques du lait maternel pour l’enfant prématuré qui agit « comme un médicament » , une information spécifique à destination des familles sur le lait maternel et la lactation, une assistance clinique directe par les marraines d’allaitement du service, un accès aux membres de l’équipe allaitement 24h/24 7j/7, une réunion hebdomadaire pour discuter de l’allaitement et partager son expérience dans le service de néonatalogie.
Les mères avaient foi dans les propriétés curatives de leur lait pour leur enfant et assimilaient ce lait à «donner la vie» à leurs enfants, atténuer les effets des complications, garder leur enfant en bonne santé et stable. Même si 74% des mères souhaitaient au préalable allaiter, la plupart ne savait pas qu’elles pourraient allaiter un enfant prématuré et pensaient que le nourrisson serait nourri avec du lait artificiel. Une mère a résumé cette expérience ainsi : « Je lui donne la vie, des médicaments, de la nourriture, et une part de moi, tout en un repas, toutes les 2 heures ».
La confiance des mères en leur lait les incitait à continuer de tirer, même si elles trouvaient cela désagréable. La prise de poids des enfants était une motivation pour continuer le tirage.
Le lait maternel avait aussi des « propriétés curatives » pour les mères. Chaque mère a rapporté durant les entretiens une expérience de naissance traumatisante, remplie de stress, d’anxiété et d’incertitude pour la santé de l’enfant ou la sienne. Donner son lait correspondait pour les mères à un moyen de renouer le lien avec l’enfant tissé durant la grossesse, de surmonter le sentiment d’échec et de culpabilité associé à la naissance prématurée. Elles blâmaient leur corps d’avoir accouché trop tôt et commençaient à tirer le lait pour reprendre la croissance interrompue par la naissance prématurée. Une des mères témoigne « Je fais pour elle à l’extérieur ce que je n’ai pas pu faire dans mon utérus ».
Tirer le lait s’inscrivait dans un rituel journalier dédié à l’enfant, et dans le stress et le chaos des semaines en néonatalogie le rythme des tirages apparaissait prédictible et rassurant, un moyen pour maintenir le lien avec l’enfant, surtout dans un contexte de séparation. La prise de poids de l’enfant était très valorisante pour les mères. Dix mères avaient une production de lait insuffisante et du lait industriel a été ajouté en supplément, mais ces mères ont continué les tirages.
Les auteurs concluent sur l’importance de la confiance des mères dans les propriétés curatives de leur lait, acquise grâce aux discussions avec les marraines d’allaitement notamment : c’est un facteur de motivation pour maintenir la lactation dans le contexte de stress lié à l’hospitalisation en néonatalogie.
Rossman B, Kratovil AL, Greene MM, Engstrom JL, Meier PP. « I have faith in my milk »: the meaning of milk for mothers of very low birth weight infants hospitalized in the neonatal intensive care unit. Journal of Human Lactation. 2013 Aug;29(3):359-65
Pour aller plus loin :
- Sos Préma. Les soins de développement, consulté le 15/11/2019 (NIDCAP ; références scientifiques)
- Centre de ressources Meilleur départ Best start. Livrets « Allaiter votre bébé très prématuré », et « Allaiter votre bébé peu prématuré« , consultés le 15/11/2019
- Giannì M, Bezze E, Sannino P,. Facilitators and barriers of breastfeeding late preterm infants according to mothers’ experiences.BMC Pediatrics 2016,16:179
- Lau C. Breastfeeding Challenges and the Preterm Mother-Infant Dyad: A Conceptual Model. Breastfeeding Medicine, jan 2018. Vol 13 (1) .
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Présentation française par Elise Armoiry, Consultante en Lactation IBCLC
Publié par : K.M.N., Documentaliste IPA
Mise à jour le 15/11/19
Mots clés : NIDCAP, poids, prématurité, soutien, tire-lait