« La deuxième mère » : comment l’industrie de l’alimentation infantile capture la science, les professions de santé et la société civile en France
Cette étude révèle le positionnement et l’influence de l’industrie des substituts du lait maternel dans le paysage français
La plupart des bébés en France sont nourris avec des substituts du lait maternel : des préparations pour nourrissons puis des aliments complémentaires, dont beaucoup sont ultra-transformés et nocifs pour la santé. À l’échelle internationale, l’industrie des aliments pour bébés s’oppose à l’a mise en place de politiques de santé publique qui limiteraient la commercialisation et la consommation de ces produits.
L’objectif de l’étude était d’identifier les acteurs clés de l’industrie de l’alimentation infantile, décrire leur histoire et l’action politique des entreprises en France (APE). L’équipe de recherche a collecté des informations accessibles au public, qu’elle a triangulées avec les données de 10 entretiens semi-structurés. Une analyse thématique qualitative a été menée simultanément à la collecte de données, guidée par une classification existante de l’APE de l’industrie alimentaire.
Les résultats montrent que l’industrie des aliments pour bébés en France a façonné la science de la nutrition du nourrisson et du jeune enfant et a entretenu des relations de longue date avec les professionnels de la santé. Cette science d’entreprise et ces relations ont aidé les entreprises d’aliments pour bébés à se présenter comme des experts sur des sujets liés aux enfants. L’industrie des aliments pour bébés s’est également engagée auprès d’un large éventail d’organisations de la société civile, notamment à travers le concept des 1000 premiers jours de vie, et pendant la pandémie de covid-19. L’équipe de recherche a trouvé des preuves, bien que limitées, que l’industrie des aliments pour bébés faisait directement pression sur le gouvernement français (lobbying). Depuis son développement précoce en France au XIXe siècle, l’industrie des aliments pour bébés a utilisé son APE pour promouvoir ses produits et protéger et pérenniser son marché. Les résultats de cette étude peuvent être utilisés pour reconnaître, anticiper l’action politique de cette industrie, et pour minimiser toute influence négative qu’il pourrait avoir sur la santé des bébés et de la mère.
Messages clés de l’étude :
- En France, l’industrie de l’alimentation infantile se positionne comme un partenaire incontournable des chercheurs, des professionnels de santé, des parents et des enfants ; elle est très présente dans les milieux scientifiques, médicaux et de la société civile, où elle diffuse des messages pro-industrie et fait la promotion de ses produits.
- L’industrie s’accapare la science en générant des recherches d’entreprise et en engageant des chercheurs et des organisations externes ; les professionnels de santé par la formation et l’information, le financement et la collaboration avec les associations ; et la société civile en nouant des relations avec des organisations et des organisations caritatives.
- Ces activités favorisent probablement les intérêts de l’industrie des aliments pour bébés en protégeant et en élargissant son marché et en façonnant l’opinion publique, afin que ses produits et ses pratiques ne soient pas remis en question.
Bien que présentant des limitations, cette étude est la première tentative de description des pratiques politiques de l’industrie de l’alimentation infantile en France. La plupart des stratégies et pratiques identifiées par cette étude étaient similaires aux stratégies précédemment identifiées comme étant utilisées par l’industrie des aliments pour bébés dans d’autres pays et à l’échelle internationale et par d’autres industries, y compris l’alcool et le tabac par exemple. Une étude récente du marché et des pratiques politiques de l’industrie des aliments pour bébés a trouvé des preuves d’un lobbying coordonné des décideurs internationaux et nationaux par le biais d’un « réseau d’influence mondial » d’associations professionnelles et de groupes de façade ; la production et le déploiement d’une science favorable qui aide les entreprises à s’engager auprès des professionnels de la santé et à promouvoir une image favorable du lait infantile comme étant sûr, scientifique et « aussi proche que possible du lait maternel » ; et l’adoption de politiques d’entreprise sur le marketing responsable, pour contrer et remplacer les mesures réglementaires des gouvernements.
L’étude affirme que les pratiques décrites ici sont peu remises en cause en France, comme en témoignent la rareté de l’actualité et l’absence quasi-totale de recherches académiques sur ce sujet. L’industrie réussit à être considérée comme un partenaire important de ceux qui essaient de promouvoir une bonne enfance. Il est cependant important de considérer les dommages involontaires ou indirects pouvant résulter de ces activités : meilleure image des entreprises (quelle que soit la nocivité de leurs produits), nouvelles opportunités de promotion, crédibilité par association, accès à de nouveaux consommateurs (bébés , qui sont les futurs consommateurs, et les personnes en situation de vulnérabilité) et un accès privilégié aux décideurs politiques. De plus, les partenariats décrits dans l’étude comportent le risque d’être perçus comme cautionnant des marques, des produits ou des entreprises spécifiques, sapant ainsi la crédibilité de l’organisation partenaire et, en définitive, la santé des enfants, lorsque ces produits sont ultra-transformés.
L’étude affirme qu’il est impératif que la communauté de la santé publique apprenne et surveille ces pratiques, étant donné les preuves croissantes du pouvoir marketing et politique de l’industrie des aliments pour bébés et d’autres acteurs commerciaux, afin de façonner l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants au niveau de la population. Cela contribuera à remettre en question l’action politique de l’industrie et favorisera l’adoption de stratégies pour limiter son impact sur la santé et la vie des mères et des bébés.
COSSEZ, Emma, BAKER, Philip et MIALON, Mélissa. ‘The second mother’: How the baby food industry captures science, health professions and civil society in France. Maternal & Child Nutrition [en ligne]. Décembre 2021. [Consulté le 19 janvier 2022]. DOI 10.1111/mcn.13301.
Pour aller plus loin :
- Comment le marketing des substituts du lait maternel fonctionne
- Les dessous du marketing de l’alimentation des tout-petits: revue de littérature
- Recommandation 11 de l’IHAB : le respect du Code OMS
- Code international de commercialisation des substituts du lait maternel : rapport de situation et ressources
- Guidance on ending the inappropriate promotion of foods for infants and young children Implementation manual, 2017
- Nos autres articles sur le Code de commercialisation des substituts du lait maternel
- Découvrez nos ressources documentaires sur Code de commercialisation des substituts du lait maternel *
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Publié par : JC, Documentaliste IPA.
Mots clés : code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel (OMS), IHAB, lait artificiel, substituts