Cannabis, CBD et allaitement

28 novembre 2022 | Articles thématiques

Consommer du cannabis et allaiter : est-ce compatible ? IPA fait le point sur les données scientifiques disponibles

Avec 900 000 usagers quotidiens, le cannabis est la drogue la plus consommée en France. Selon le baromètre de Santé publique France , près de la moitié des adultes de 18 à 64 ans (45 %) en ont déjà consommé (1). L’enquête périnatale 2021 de Santé Publique France (2) rapporte que 0,5% de femmes ayant accouché consomment du cannabis au retour à domicile, et parmi elle près de la moitié en consomment plus de 10 fois par mois.

Le Cannabis est une plante utilisée pour ses propriétés psychoactives, et dans certains pays pour ses propriétés thérapeutiques. Elle est consommée sous forme fumée, inhalée ou par ingestion. La fumée de Cannabis contient plus de 150 composants connus (3).

La principale molécule responsable de l’effet psychoactif (ou euphorie) est le delta-9- Tétrahydrocannabinol ou THC. Il est très lipophile et est stocké dans les tissus adipeux pour de longues périodes (jusqu’à plusieurs mois), et donc possiblement dans les seins de la mère allaitante. Une fois inhalé, il passe des poumons au plasma, puis dans les organes (foie, cerveau et autres tissus). Sa demi-vie (c’est-à-dire le temps que met le corps pour éliminer la moitié de la dose consommée) est longue, et chez les utilisateurs chroniques peut aller jusqu’à plusieurs jours.

Le THC se lie dans le corps aux récepteurs CB1 et CB2 qui sont présent dans le cerveau et en périphérie. Dans le corps humain, il existe des molécules produites pour se lier à ces récepteurs : c’est le système endocannabinoide. Et dans le lait maternel, il existe au moins une molécule produite par la mère se liant à ces récepteurs (4).

Le rôle de ce système endocannabinoide est de contrôler les communications entre les synapses des neurones et il intervient dans les processus suivants : la faim, l’anxiété, la douleur, les apprentissages, la mémoire, la reproduction, le métabolisme, la croissance. Le cannabis, via le THC, active ce système.

Il est utilisé de manière thérapeutique et légale dans certains pays pour traiter notamment l’anorexie, les douleurs neuropathiques, la sclérose en plaques, … En France, son utilisation thérapeutique est sous expérimentation dans cinq indications thérapeutiques (5).

Les risques associés avec la consommation de cannabis chez l’adulte sont abordés dans une campagne d’information de Santé Publique France (6). Ils comprennent : les troubles du sommeil, les troubles pulmonaires, les troubles mentaux, le bad-trip, les troubles cognitifs (troubles de la mémoire, de l’attention et de la concentration), les autres troubles et facteurs de risques (compositions des produits, troubles cardiovasculaires etc.).

L’INPES rapportait en 2013 que 3% des femmes enceintes consomment du cannabis en France. (7). Dans les études canadiennes, 2 à 5% des femmes consomment du cannabis lors de leur grossesse, et 6% lors de l’allaitement. Dans ce pays, l’utilisation non-thérapeutique est légale depuis 2018 et ces chiffres vont certainement augmenter (8). Dans les études américaines, où l’utilisation est légale dans certains états, jusqu’à 11% des femmes enceintes consomment du cannabis. Dans les deux pays, les facteurs associés avec cette consommation sont notamment socio-démographiques (jeune âge, niveau d’éducation et niveau socio-économique bas), relatifs à la santé mentale (anxiété, dépression du post-partum, idées d’auto-agression), le statut marital, l’origine ethnique, et la consommation concomitante d’alcool et de tabac. Ces chiffres sont probablement sous-évalués puisqu’ils proviennent de la déclaration des mères, et par exemple une étude de 2017 rapporte que seules 36% des femmes ayant un résultat positif au THC avaient déclaré en consommer. Cette sous-déclaration est sans doute liée à la peur, notamment de l’intervention des services sociaux (8).

Les raisons rapportées pour une utilisation durant la grossesse sont les nausées, les vomissements, l’anxiété, la douleur, et les troubles du sommeil, et souvent les mères pensent que le cannabis n’est pas nocif pour le fœtus.

IPA fait le point sur les données scientifiques disponibles à connaître en tant que professionnel·le de santé pour soutenir et accompagner les mères allaitantes qui s’interrogent à ce sujet. A noter qu’il y a un déficit de littérature scientifique sur l’exposition aux drogues pendant l’allaitement spécifiquement. De plus, dans les études, il est difficile de faire la part de l’impact de la consommation durant la grossesse et l’exposition fœtale, de l’exposition via le lait maternel après la naissance.

Impact en cas de consommation durant la grossesse

  • Sur la naissance : Globalement les études rapportent un risque de diminution du poids de naissance en cas de consommation de cannabis durant la grossesse. Dans certaines études, on observe des complications durant la grossesse (fausse couche, prématurité, retard de croissance intra-utérin, ou transfert en unité néonatale) associées à l’usage du cannabis. Ceci aura un impact sur la mise en place de l’allaitement maternel. (9)

Le cannabis est presque toujours consommé avec du tabac et l’effet indépendant du cannabis ne fait pas consensus (10)

Un syndrome de sevrage peut aussi être observé chez le nouveau-né : sursauts, tremblements, difficultés à s’habituer à la lumière. (11)

  • À plus long terme sur l’enfant :

Le cannabis aurait un impact sur le développement neuro-cognitif de l’enfant exposé in-utero au cannabis : à partir de 3-4 ans certaines études rapportent des déficits de la mémoire à court-terme, des raisonnements verbaux et visuels ou abstraits, un impact sur les fonctions de résolution de problème, une hyperactivité. Il y aurait aussi un impact sur les performances scolaires, la lecture et l’orthographe.

Toutefois ces études sont controversées (8)

Passage du Cannabis dans le lait maternel

Des études ont été réalisées concernant le passage du cannabis dans le lait maternel.

Une fois ingéré ou inhalé : le THC passe dans le sang, puis vers le cerveau et le reste du corps où il est stocké dans la graisse corporelle, puis lentement redistribué sur plusieurs jours dans la circulation.

Si la personne allaite, le THC sera redistribué du tissu adipeux vers le lait (qui contient des lipides donc « attire » le THC) en quantités indéterminées sur plusieurs jours.

Dans les études, on retrouve du THC dans le lait entre 6 jours et 6 semaines après la prise avec une demi-vie estimée à 20 jours. (8)

Une fois passé dans le lait maternel, le THC est ingéré par l’enfant. Baker et al (3) estiment la dose ingérée par l’enfant à 2,5% de la dose maternelle avec un pic dans le lait environ 1 heure après l’inhalation par la mère. Il subit alors un effet de premier passage hépatique : la plus grande partie sera détruite dans le foie, et seule une petite partie (1%) pourra arriver dans le reste du corps. Le Dr Hale, dans une interview pour l’ILCA (12), explique que cette pharmacocinétique implique qu’une très faible dose arrive finalement à l’enfant.

Les effets potentiels de cette exposition chez l’enfant restent à confirmer, et ces effets sont difficiles à distinguer de ceux résultant de l’exposition in utero.

  • Des cas d’effets à court terme ont été rapportés : sédation, léthargie, difficultés à se nourrir.

Un document du gouvernement canadien (13) indique :

« Les bébés exposés au THC par le lait maternel peuvent être somnolents, avoir une masse musculaire moins importante et avoir plus de difficulté à téter, ce qui pourrait avoir une incidence sur le succès de l’allaitement et de la quantité de lait maternel ingéré.

Il est possible que les effets persistent selon la durée et l’étendue de l’exposition de l’enfant au cannabis. Si le cannabis est consommé durant la grossesse ou l’allaitement, cela pourrait affecter le développement du cerveau de l’enfant, son comportement et sa santé mentale. L’enfant peut avoir de la difficulté à se rappeler certaines choses et à prêter attention à l’école, ainsi qu’à résoudre des problèmes. Cela pourrait affecter son comportement (par exemple, le rendre hyperactif) et même augmenter le risque qu’il consomme du cannabis lorsqu’il sera plus âgé »

  • Il y a peu d’études sur les effets à long terme de l’exposition au cannabis dans le lait humain.

Deux études anciennes et limitées en terme de taille ont essayé d’évaluer ces effets : une ne trouvait pas d’effet sur le développement moteur et mental à un an, l’autre trouvait un retard de développement moteur à un an. Ces deux études ne contrôlaient pas l’exposition in utero.

Il est par ailleurs possible que le cannabis affecte la relation d’attachement avec le bébé. On observe aussi une diminution de la durée de l’allaitement maternel chez les femmes fumant du cannabis.

Enfin, l’exposition au cannabis est souvent concomitante à l’exposition aux fumées de tabac, dont on connaît la nocivité.

Recommandations chez la femme qui allaite

En France, drogues info-service ne contre-indique pas l’allaitement en cas d’usage de drogues (14), car “ les bénéfices apportés par l’allaitement au sein quand celui-ci est souhaité par la mère prévalent sur ses inconvénients même en cas de consommation de drogues”

Toutefois l’usage du cannabis est déconseillé en cas d’allaitement en raison des risques potentiels, par différentes instances, notamment Santé Publique France (15) et Le Centre de Référence des Agents Tératogènes (16).

Différents auteurs (16-19) proposent les stratégies suivantes :

  • Conseiller aux mères ayant une consommation occasionnelle de réduire leur consommation ou éviter de consommer
  • Indiquer aux mères les risques potentiels à long terme sur le développement neuro-moteur de l’enfant
  • Envisager le rapport bénéfice de l’allaitement et risques liés à l’exposition au THC pour les personnes consommant régulièrement. Les données ne sont pas suffisantes pour recommander d’éviter d’allaiter lors de l’usage de cannabis selon l’Academy of Breastfeeding Medicine.(19)
  • Une pathologie maternelle (anxiété, dépression) devrait être recherchée (16)
  • Rappeler aux mères qu’en plus des effets indésirables possibles des cannabinoïdes via le lait maternel, la consommation de cannabis par le père peut également augmenter le risque de syndrome de mort inattendue du nourrisson chez les nourrissons allaités. Le cannabis ne doit pas être fumé par quiconque se trouvant à proximité des nourrissons, car les nourrissons peuvent être exposés en inhalant la fumée (17,18)

Du fait de la pharmacocinétique du THC (lente redistribution sur une durée indéterminée, fonction de la quantité consommée, de la fréquence de consommation, etc), il n’est pas possible de recommander des moments de consommation par rapport aux tétées comme pour le tabac ou l’alcool, ou de recommander de tirer son lait et le jeter.(18)

Cas du CBD Cannabidiol (Huiles, tisanes, …)

Le Cannabidiol (CBD) est un autre composant du cannabis, cannabinoide, qui a été retrouvé dans le lait maternel de mères utilisant ces produits (20) mais il n’y a pas d’études sur l’impact de cette exposition chez le nourrisson.

Il agit au niveau du cerveau sur les récepteurs de la sérotonine et de la dopamine (et non les récepteurs CB1 et CB2, donc ne provoque pas d’euphorie). Il a un effet psychoactif potentiel, de réduction de l’anxiété, sédation ou de somnolence. (21)

Ce produit fait l’objet de nombreuses études et « des travaux sont encore nécessaires pour caractériser complétement le profil de sécurité et d’innocuité du CBD lors de prises répétées et/ou prolongées chez l’homme »(22)

Le CDC américain (23) indique dans le cadre de l’allaitement qu’il peut contenir d’autres contaminants (pesticides, métaux lourds, champignons) potentiellement dangereux pour la mère et l’enfant.

Le Dr Hale met en garde sur les concentrations très variables dans les produits retrouvés sur le marché (4), qui ne sont pas contrôlés.

Bibliographie

  1. “Derrière la fumée” une campagne pour sensibiliser sur les risques du cannabis . Disponible ici, consulté le 17/10/2022
  2. Santé publique France. Enquête Périnatale 2021. Disponible ici, consultée le 21/10/2022
  3. Baker et al. Transfer of Inhaled Cannabis Into Human Breast Milk. Obstet Gynecol 2018 May;131(5):783-788.
  4. Thomas Hale. Webinaire de fev 2022 : “Transfer of opioids, bipolar meds and cannabis into human milk”. Disponible ici. Visionné le 15/10/2022
  5. Agence Nationale de Sécurité du Médicament. Cannabis à usage médical. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  6. Santé Publique France. Une histoire de joints, une campagne pour mieux comprendre les dangers liés au Cannabis . Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  7. Beck et al. Enquête Baromètre Santé. Enquête sur le consommation de substances psychoactives des femmes enceintes. La santé en action. N°423. Mars 2013. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  8. Canadian Centre on substance use and Addication. J. Renard et al. Clearing the smoke on cannabis. Cannabis use during pregnancy and breastfeeding.2022
  9. Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. L’essentiel sur…alcool, tabac, cannabis et grossesse : protéger l’enfant de l’exposition aux substances psychoactives. Fev 2022.
  10. Dumas et al. Tabac, alcool et cannabis pendant la grossesse : qui sont les femmes à risque ? Santé publique vol 26(5),2014.
  11. Badowski et al. Usage de cannabis durant la grossesse et le post-partum. Le Médecin de famille canadien. Vol 66: FÉVRIER 2020.
  12. Dr Hale. Lactation Matters the ILCA blog. Questions about cannabis. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  13. Sante Canada. Est-il sécuritaire de consommer du cannabis pendant la période précédant la conception, la grossesse, l’allaitement ? Disponible ici, consulté le 17/10/2022
  14. Drogues Info Service. Puis-je prendre des drogues alors que j’allaite mon enfant. Disponible ici . Consulté le 17/10/2022
  15. Site des 1000 premiers jours. L’allaitement dans la vie quotidienne. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  16. Centre de référence des agents tératogènes. Fiche sur le Cannabis. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  17. Base de données Lactmed. Fiche sur le Cannabis. Disponible ici. Consultée le 17/10/2022
  18. Cannabis and breastfeeding. Breast. Med.2017 Vol 2(10) pp580-581
  19. Academy of breastfeeding medicine. Clinical Protocol 21 : Guidelines for breastfeeding and substance use or substance use disorder, revised 2015. Med.2015 Vol 10 (3) pp.135_141
  20. Base de données Lactmed. Fiche sur le Cannabidiol. Disponible ici. Consultée le 17/10/2022
  21. gouv.fr.Flyer CBD. 2021. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  22. gouv.fr.Pharmacologie du CBD. 2021. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
  23. Center of Disease Control. Breastfeeding and special circumstances. Disponible ici. Consulté le 17/10/2022
Rédaction par Elise Armoiry, Consultante en lactation ibclc, Publié par : JC, Documentaliste IPA.

Remarque: Cet article est destiné aux professionnels de santé accompagnant les mères dans leur projet d’allaitement maternel. Si vous êtes un parent concerné par cette problématique nous vous invitons à vous rapprocher de votre professionnel de santé afin de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.

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