La pénurie de lait artificiel aux États-Unis
Les scandales alimentaires se succèdent, entre le chocolat à Pâques, la charcuterie, et les pizzas surgelées ayant fait l’objet de rappels de lots.
Aux États-Unis, c’est une situation très compliquée qui est en cours, suite à la fermeture d’une usine de fabrication de lait industriel en poudre en raison d’une possible contamination bactériologique qui aurait conduit à l’hospitalisation et au décès de 2 enfants . A cela s’ajoutent d’autres difficultés : concernant la chaîne d’approvisionnement, et le manque de personnel durant l’épidémie de Covid notamment (1).
Résultat : une rupture de stock massive, correspondant à environ 40 % des stocks nationaux: les rayons des magasins sont vides, et certains parents se retrouvent à faire des heures de trajet pour trouver la marque de lait (parfois des laits pour besoins spécifiques, tels que des allergies aux PLV) dont a besoin leur enfant, à payer des sommes astronomiques pour une boite de lait (130 dollars pour 4 boîtes sur ebay), ou bien à trop diluer la poudre qu’ils ont en stock pour faire durer la boîte. Les magasins limitent le nombre de boites par famille, les photos des rayons vides sont diffusées…
Des recettes de « lait fait maison » apparaissent sur la toile.
La FDA (Food and Drug Administration ) déconseille l’utilisation de préparations maison, en raison du risque de contamination, mais aussi de déséquilibre nutritionnel , les formules maison pouvant présenter des carences en nutriments essentiels. Ainsi, plusieurs enfants ont dû être hospitalisés pour hypocalcémie (2,3). De même, diluer la poudre avec un volume d’eau plus important que celui recommandé par le fabricant entraine une dilution des nutriments et expose l’enfant à des problèmes de croissance et un possible déséquilibre nutritionnel (3)
Dans ce contexte, l’International Lactation Consultant Association (4) et l’Academy of breastfeeding médecine (5) mentionnent les options à considérer avec les parents :
- Pour les femmes enceintes, prendre en compte cette pénurie de lait lors du choix sur le mode d’alimentation de l’enfant,
- Concernant le lait industriel en poudre, envisager une marque alternative si la santé de l’enfant le permet,
- Ne pas donner de lait de vache à un enfant de moins de 1 an (risque de carence en Fer) ou de manière exceptionnelle après validation du pédiatre à partir de 6 mois
- En cas d’allaitement mixte, envisager d’augmenter la production de lait maternel,
- En l’absence d’allaitement : envisager une relactation si c’est possible, c’est-à-dire redémarrer la production de lait maternel après une période d’interruption,
- En cas d’allaitement maternel exclusif, envisager de donner son lait en cas de production abondante.
Le cas du don informel de lait maternel est également envisagé.
Sur les réseaux sociaux, la polémique biberon ou allaitement est repartie de plus belle. Les mères qui n’allaitent pas se retrouvent désemparées par la situation, et à leur désespoir s’ajoute alors une culpabilisation personnelle et/ou par d’autres personnes vis à vis de leur choix initial de ne pas allaiter, au regard des difficultés actuelles. A contrario certains s’insurgent que l’on puisse voir l’allaitement comme une éventuelle réponse à ces ruptures de stock (6), les recommandations concernant les solutions de nutrition infantile en situation d’urgence étant peu connues du grand public. Évidemment l’allaitement n’est pas toujours possible, à cause des conditions de la reprise du travail , ou à cause de conditions médicales spécifiques (physiques ou psychologiques) des mères ou des enfants. Dans certains cas, le recours au lait artificiel n’est pas seulement un choix, mais bien une nécessité. Dans tous les cas, cette crispation sur la dualité du choix et de la responsabilité des mères envenime cette situation critique, et détourne l’attention de la problématique de la vulnérabilité et la dépendance vitale des mères et des enfants face à une industrie lucrative mais défaillante.
Les principales personnes impactées par cette pénurie de lait artificiel sont les personnes d’origine modeste ou ayant besoin d’un lait spécial en raison d’une pathologie. Aux États-Unis, près d’un bébé sur 5 prendra du lait artificiel dans ses deux premiers jours de vie, et à 3 mois moins de 50% des enfants sont allaités exclusivement. Les personnes vivant dans la pauvreté, notamment, issues des communautés noires, hispaniques, asiatiques ou indiennes américaines sont les plus à risque de dépendre du lait artificiel (7). Ce sont les personnes à salaire minimum qui sont le moins dans la capacité de prendre un congé parental ou d’avoir les possibilités de tirer leur lait au travail.
Les banques alimentaires et des programmes associatifs travaillent pour procurer différentes marques de lait artificiel à ces populations.
Le gouvernement américain (8) évoque différentes possibilités pour limiter cette pénurie, notamment en simplifiant les lignes de production (proposer une seule taille de boites au lieu de plusieurs), en signalant et s’attaquant aux hausses abusives des prix, ou en augmentant les importations.
Une autre option proposée par certains (5, 7, 9) pour réduire la dépendance au lait artificiel serait la mise en place de politiques de soutien à l’allaitement maternel, par exemple en revoyant la durée du congé de maternité/congé parental, en envisageant un soutien plus important des mères qui reprennent le travail et souhaitent allaiter, ou encore en assurant un accès aux professionnels de la lactation et un remboursement de leur soins.
Comme l’indique D. Scott (6): « la pénurie de préparations pour nourrissons est plutôt un autre exemple extraordinaire des échecs du système de santé américain, le pays le plus riche du monde luttant pour fournir une nutrition de base à bon nombre de ses nourrissons. »
Références :
- Eloise Barry. Article du Time. Why It’s So Hard to Find Baby Formula in the U.S. Right Now. Consulté le 14/05/2022. Disponible ici
- Food and Drug Administration. FDA advises parents and caregivers not make or feed homemade infant formulas to infants. Consulté le 14/05/2022 Disponible ici
- Dr Steven A Abrams. Is Homemade Baby formula safe. Consulté le 14/05/2022. Disponible ici
- International lactation Consultant Association. ILCA’S statement on commercial infant milk formula shortage. Consulté le 14/05/2022. Disponible ici
- Academy of breastfeeding Medicine. ABM statement on shortage of Breast Milk substitutes. Consulté le 15/05/2022 et disponible ici
- Elise Solé.Today. Is breastfeeding ‘free’? Baby formula shortage spotlights myths about feeding babies . Consulté le 14/05/2022 et disponible ici
- D Scott. Vox. Why baby formula is in short supply — and who is most at risk. Consulté le 15/05/2022 et disponible ici
- The White House. FACT SHEET: President Biden Announces Additional Steps to Address Infant Formula Shortage. Consulté le 15/05/2022 et disponible ici
- Dr Steven Abrams. The Conversation. What’s behind the US infant formula shortage – and how to make sure it doesn’t happen again . Consulté le 14/05/2022 et disponible ici
Rédigé par Elise Armoiry, Consultante en lactation IBCLC
Pour aller plus loin
- Nutrition du jeune enfant et situations d’urgence
- Nos articles sur le Code de commercialisation des substituts du lait maternel
Publié par : JC, Documentaliste IPA.
Mots clés : pénurie, situation d'urgence, substituts