A qui profite la fragilisation de l’allaitement maternel ?

06 février 2023 | Actualités scientifiques

Un rapport explore la génération et la répartition de la richesse et des revenus de l’industrie mondiale des préparations pour nourrissons.

Cette étude fait partie d’un programme de recherche plus large sur l’économie politique des substituts du lait maternel qui a été financé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Institut international United Nations University pour la santé mondiale (UNU-IIGH) est le groupe de réflexion désigné par les Nations Unies sur la santé mondiale, servant de centre de traduction des politiques pour les États membres, les agences et les programmes des Nations Unies.

L’industrie globale des substituts du lait maternel est connue pour systématiquement fragiliser l’allaitement maternel dans le monde entier, renforçant ainsi une crise évitable de santé publique et des droits humains. Le marketing agressif des préparations pour nourrissons (PPN) par l’industrie, par exemple, est reconnue comme une des principales raisons du faible progrès dans l’amélioration des taux d’allaitement au niveau mondial. L’industrie des PPN est aussi connue pour utiliser une gamme de stratégies politiques qui empêchent  l’adoption efficace et généralisée de réglementations par les gouvernements nationaux, telles que les réglementations de commercialisation, destinées à protéger et à promouvoir la santé de leurs citoyens et citoyennes.

L’une des principales stratégies de communication politique utilisées par l’industrie PPN dans le cadre de ses efforts pour éviter ou affaiblir la réglementation consiste à mettre en avant son importance pour le développement économique et la prospérité des économies nationales, en particulier celles des pays à revenu faible et intermédiaire. De telles affirmations ont pourtant rarement fait l’objet d’une analyse critique.

Compte tenu de ces considérations, ce rapport vise à fournir une image alternative de la contribution de l’industrie des substituts du lait maternel au développement économique et à la prospérité des économies nationales en examinant de manière critique la génération et la répartition de la richesse et des revenus de l’industrie. Pour référence, en 2020, la France était placée au 11e rang des plus gros marchés nationaux de PPN au monde, à hauteur de 705,9 millions de dollars.

Pour atteindre cet objectif, le rapport cherche à répondre à trois objectifs interconnectés :

  1.  Analyser les tendances de la taille et de la concentration des marchés nationaux des PPN dans le monde
  2. Analyser la contribution des ventes de PPN à la rentabilité des entreprises les plus dominantes du marché mondial des PPN
  3. Examiner comment l’industrie mondiale des PPN distribue sa richesse et ses revenus, en se concentrant sur la distribution de la richesse et des revenus des entreprises aux gouvernements (c’est-à-dire la fiscalité) et entre les acteurs du marché (par exemple, les transferts de richesse aux actionnaires).

Ce rapport adopte une nouvelle approche utilisant plusieurs méthodes pour répondre à ces trois objectifs, d’après une gamme variée de données provenant de diverses études de marché et bases de données commerciales.

L’analyse de ce rapport montre que l’économie de la commercialisation des substituts du lait maternel profite principalement – et à un degré croissant – à un petit groupe d’actionnaires et d’investisseurs basés principalement dans les pays à revenu élevé.

Trois tendances et processus interdépendants sous-tendent ce constat.

  1. Premièrement, de nombreux marchés nationaux de PPN, en particulier en Asie de l’Est, se sont développés rapidement de 2010 à 2020. La plupart des marchés nationaux de PPN se sont avérés fortement ou très fortement concentrés. Cela signifie que, dans de nombreux pays, la plupart des revenus générés par la commercialisation des PPN finissent dans les mains  d’une poignée de sociétés seulement.
  2. Deuxièmement, les acteurs dominants cette industrie mondiale des PPN semblent s’appuyer sur plusieurs pratiques extractives – c’est-à-dire des pratiques qui cherchent à s’approprier la richesse plutôt qu’à la créer – pour générer et maintenir des niveaux élevés de profits. Ces pratiques incluent celles liées à la minimisation des paiements d’impôts sur leurs bénéfices, en particulier dans des pays à revenu faible et intermédiaire, bien que la possibilité pour les plus grandes entreprises de le faire semble avoir diminué ces dernières années.
  3. Troisièmement, l’industrie mondiale des PPN devient de plus en plus financiarisée, ce que reflète la tendance à l’augmentation de l’actionnariat des grands investisseurs institutionnels dans l’ensemble du secteur, ainsi que par la recherche croissante du secteur de maximiser les rendements pour les actionnaires au détriment des autres parties prenantes. En 2020 (une année affectée par la pandémie de COVID 19), l’industrie a transféré environ 32,7 milliards de dollars américains à ses actionnaires via des dividendes et des rachats d’actions, un montant près du double de celui dépensé en dépenses d’investissement (17,9 milliards de dollars américains), ce que le rapport considère comme un indicateur pour les intérêts à long terme des travailleurs. À la mi-2021, près de 97 % de la valeur des actions échangées étaient détenues dans les pays à haut revenu, tandis que moins de 1 % étaient détenus dans les pays à revenu faible et intermédiaire, sans prendre en compte  la Chine.

La manière très inéquitable dont l’industrie des substituts du lait maternel génère et distribue la richesse et les revenus contribue certainement à creuser les inégalités sociales et économiques. Ce qu’on nomme une mauvaise répartition des richesses et des revenus fragilise fortement les affirmations de l’industrie mondiale des PPN quant à son rôle dans la création de valeur économique et la contribution au développement durable, en particulier pour les pays à revenu faible et intermédiaire

Le rapport recommande donc vivement aux gouvernements de traiter les déclarations faites par l’industrie avec un grand scepticisme et de mettre en œuvre des actions pour remédier à certains des impacts sociaux et économiques négatifs de l’industrie mondiale des substituts du lait maternel. Les options pourraient être notamment :

  1. Une politique anti-trust, qui pourrait être utilisée pour protéger les citoyens et citoyennes contre les pratiques d’extraction et d’exploitation des puissantes sociétés manufacturières des PPN.
  2. Une politique fiscale progressive, qui a le potentiel de remédier en partie aux effets néfastes de l’industrie des PPN sur la santé et l’équité, par exemple en supprimant certains avantages fiscaux dont bénéficient les puissantes sociétés manufacturières de PPN, ainsi qu’en mobilisant davantage de fonds publics nécessaires à la fourniture de biens et services essentiels.
  3. Des lois plus strictes sur la divulgation des informations d’entreprise, telles que la déclaration publique obligatoire pays par pays, afin d’assurer une plus grande responsabilité et transparence des entreprises, y compris en ce qui concerne les flux de bénéfices et d’impôts.
  4. Une réforme  du droit des sociétés afin que les décisionnaires industriels soient tenus de prendre pleinement en compte les intérêts de toutes les parties prenantes dans leur prise de décision, au lieu de privilégier les intérêts des actionnaires.

 

Benjamin Wood, Diarmid O’Sullivan, Phillip Baker, et al. Who Benefits from Undermining Breastfeeding?. UNU-IIGH, 2022.

 

Pour aller plus loin…

Publié par : JC, Documentaliste IPA.

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