Prescription de dompéridone dans le cadre de l’allaitement : quels bénéfices et quels risques en 2023 ?

07 novembre 2023 | Articles thématiques

IPA fait le point sur les effets indésirables potentiels de la dompéridone, récemment mise en cause dans une alerte de pharmacovigilance au Canada.

Les galactogènes sont des substances capables de favoriser la production de lait.

Parmi elles, est souvent mentionnée la dompéridone (Motilium) , antagoniste des récepteurs D2 de la Dopamine. Ce produit est utilisé comme  anti-nauséeux. Il a pour effet secondaire d’augmenter la prolactine.

Quelle utilisation de la dompéridone en France et quels effets indésirables? 

Comme nous vous l’avions indiqué dans l’article Le soutien à l’allaitement pour les personnes des communautés queer, transgenres ou « LGBTQI+ »  , cette utilisation en tant que galactogène est hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) en France, et son utilisation dans le cadre de l’AMM est réservée au soulagement des nausées et vomissements.

Le passage de la dompéridone dans le lait maternel est très faible (en raison de la masse moléculaire élevée et de la forte liaison aux protéines plasmatiques), même en cas de dose importante chez la mère (1,2).

En raison des effets indésirables cardiaques graves rares associés à son utilisation (notamment un allongement de l’intervalle QT, des torsades de pointes, une arythmie ventriculaire grave voire une mort subite),  l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM, anciennement nommée AFSSAPS) a mis en garde contre l’utilisation hors-AMM pour l’allaitement de cette molécule en 2011. (3)

 Puis l’ANSM a émis des recommandations pour limiter le risque cardiaque en 2014 et a restreint son utilisation aux personnes âgées de plus de 12 ans en 2019 (3). Ce médicament  n’est d’ailleurs plus disponible aux USA suite à une décision de la FDA en raison de ces risques cardiaques.

Le protocole de l’Academy of Breastfeeding Medicine sur l’usage des galactogènes publié en 2018 (4)  mentionne un risque d’incidence très faible des arythmies chez les femmes en post-partum prenant de la dompéridone, mais qui peut augmenter en fonction de l’historique médical, l’IMC, la posologie utilisée et les interactions médicamenteuses. Des précautions particulières (posologie, suivi) sont proposées en cas de prescription. 

Mais en France, son utilisation est encore observée, notamment lors de l’induction de lactation dans le cadre de l’adoption ou d’une famille LGBTQ.

Quelle efficacité en tant que galactogène? Et à quelles doses? 

La base de donnée pharmacologique américaine Lactmed recense les différentes études sur l’efficacité de la dompéridone (1). On retient notamment plusieurs méta-analyses qui mentionnent une augmentation de production de lait de 94 ml en moyenne et que la poursuite du traitement au delà de 7 jours n’apportait pas de bénéfice supplémentaire en terme de production.

Notons que la majorité des études sur l’usage de la dompéridone est réalisée dans le cadre de la prématurité, à des posologies de 10 mg 3 fois par jour, et sur des durées de 7, 14 ou 28 jours maximum. 

Dans le cadre de l’induction de lactation, des protocoles ont été proposés par Newman et Godfarb (5), comprenant l’usage d’oestro-progestatifs et de la dompéridone, sur des durées de plus de 6 mois, à des doses allant jusqu’à 80 mg pour la dompéridone. Ces protocoles ont pour objectif de mettre en place la lactation avant l’accueil du bébé.

Ces protocoles sont par ailleurs remis en question, puisqu’ils n’ont pas fait l’objet d’études randomisées. Une enquête concernant 228 mères indiquaient que seulement 30% avaient une production de lait suffisante pour leur bébé, et que pour la majorité d’entre elles, après des mois de préparation, la durée de l’allaitement était comprise entre 0 et 30 jours.(2)

2022-2023: Des alertes sur de possibles effets indésirables à l’arrêt du traitement

Fin 2022 un média canadien rapporte l’histoire de plusieurs femmes ayant souffert de troubles psychiatriques à l’arrêt du traitement par dompéridone utilisé en tant que galactogène, dont une ayant réalisé plusieurs tentatives de suicide.(6) Les doses utilisées étaient supérieures à celles utilisées dans les études de mise sur le marché. 

En effet, l’antagonisme de la dopamine entraîne un effet anti-psychotique. Du fait du faible passage de la barrière hématoencéphalique par la dompéridone, on rapporte rarement d’effets au niveau du système nerveux central à la dose usuelle. 

Un article paru dans le journal Breastfeeding Medicine fin 2022 (7) rapporte 3 cas de troubles psychiatriques sévères survenus suite à l’arrêt de la dompéridone. Les auteurs ont réalisé une revue de la littérature et mentionnent 7 autres cas décrits dans la littérature.

 Les doses prescrites aux patientes dans ce case-report étaient supérieures aux doses recommandées dans l’AMM: entre 80 mg/j et 160 mg / jour. Les signes décrits lors du sevrage sont: insomnie, anxiété, nausées, maux de tête, agitation psychomotrice, attaque de panique, manque d’énergie et idées suicidaires.

Même avec une diminution progressive des doses (10 mg/semaine), un syndrome de sevrage a pu être observé. L’utilisation d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs était alors inefficace et il a été nécessaire de réintroduire la dompéridone pour  diminuer très progressivement la dose chaque semaine .

Dans l’un des cas, il y a eu 4 tentatives d’arrêts,  la diminution usuelle de 10 mg/semaine a entraîné un syndrome de sevrage et il a fallu diminuer de 2.5 mg toutes les 2 semaines pendant 4 semaines puis de 5 mg toutes les semaines, ce qui implique un sevrage sur un an.

Les auteurs rapportent le contexte américain très particulier puisque les patientes se procurent illégalement ce médicament via un prescripteur en ligne canadien et sont donc réticentes à en discuter avec leur professionnel de santé lorsque des difficultés surviennent lors du sevrage.

Les auteurs expliquent les mécanismes supposés de ce syndrome de sevrage et les modalités pour le gérer:

  • Du fait des doses élevées utilisées, ils supposent que la dompéridone a bénéficié d’ un plus grand passage de la barrière hémato-encéphalique. Un cas a été décrit à la dose usuelle de 30 mg/j, et ils envisagent une possible particularité génétique expliquant le passage plus important de la barrière hémato-encéphalique dans ce cas.
  • La durée de traitement ne semble pas entrer en jeu.
  • La prescription d’antidépresseurs, anxiolytiques, et somnifères semble inefficace pour traiter les symptômes des patientes.
  • Le protocole de sevrage de 10 mg par semaine ne semble pas convenir à toutes les patientes et est parfois mal toléré.
  • Les auteurs avancent la théorie d’une hypersensibilité à la dopamine pour expliquer le développement rapide de ces symptômes psychiatriques à l’arrêt de la dompéridone. La dompéridone est un antagoniste des récepteurs D2 de la dopamine. Le blocage dopaminergique entraine la libération de prolactine.

 L’antagonisme chronique des récepteurs de dopamine D2 pourrait entraîner un mécanisme d’adaptation de l’organisme:  une augmentation du nombre de récepteurs, et également une augmentation de l’efficacité des récepteurs. Ces deux mécanismes pourraient être à l’origine d’une hypersensibilité à la dopamine qui n’apparaîtrait qu’à l’arrêt de la dompéridone.

Il est donc proposé de réaliser un sevrage très lent en diminuant les doses de 10 -25% tous les 3-6 mois. Les doses finales nécessaires peuvent etre jusqu’à 1/40 eme de la dose thérapeutique.

Les auteurs soulignent le fait que les patientes américaines ont pu se procurer le médicament en ligne, et faire leurs ajustements de dose en suivant les conseils de forums sur internet. Ce qui montre l’importance d’un suivi médical et  pharmaceutique spécifique dans ce cas, et d’une connaissance des professionnels de santé concernant les effets indésirables possibles durant le traitement mais également à son arrêt.

Finalement, en août 2023, le ministère de la santé canadien a émis une alerte de pharmacovigilance sur la dompéridone et les risques liés à l’arrêt abrupt incluant notamment des risques de dépression, anxiété et insomnie, suite à un usage hors AMM dans le cadre de la lactation, et à des doses et durées  supérieures  à celles recommandées dans l’AMM (8).

 

En cas d’effet indésirable suite à une prise de dompéridone, il est possible pour les parents et professionnel de santé de le signaler via le portail de signalement des évènements sanitaires indésirables.

Accompagnement des patientes en pratique

Avant d’utiliser un galactogène, il est important d’observer une tétée, et d’optimiser une prise en charge non-médicamenteuse: relaxation pour la mère, drainage efficace et fréquent des seins, et recherche/traitement de la cause possible en cas d’insuffisance de lait avérée.(4,9)

En cas de mise en place d’un traitement par dompéridone pour favoriser la lactation, outre les précautions concernant le risque cardiaque (ECG),  une évaluation et une explication de la balance bénéfice-risque aux patientes semble également indispensable ainsi qu’un accompagnement lors du sevrage qui sera très progressif.

 

Bibliographie

  1. Base de données Lactmed. Fiche sur la Dompéridone . Mise à jour le 15 octobre 2023 . (Consultée le 25/10/2023 )
  2. Mohrbacher, Nancy. Breastfeeding answers, a guide for helping families, 2de édition. 2020. Disponible gratuitement sur demande au CERDAM pour les adhérent·es.
  3. Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé. Dompéridone : recommandations pour réduire le risque cardiaque. (consulté le 07/11/2023)
  4. Academy of Breast feeding Medicine. ABM Clinical Protocol #9: () Use of Galactogogues in Initiating or Augmenting Maternal Milk Production, Second Revision 2018. Disponible également en français sur le site de La Leche League France (Consulté le 25/10/2023).
  5. The Canadian Breastfeeding Foundation. The Protocols for Inducing Lactation and Maximizing Milk Production. (Consulté le 25/10/2010)
  6. Chelsea Gomez, Tara Carman · CBC News ·Banned in the U.S., not approved for breastfeeding — why are so many moms taking this drug?. Article de Decembre 2022. (Consulté le 25/10/2023)
  7. Elleana Majdinasab, et al. Psychiatric Manifestations of Withdrawal Following Domperidone Used as a Galactagogue. Breastfeeding Medicine.Dec 2022.1018-1024.http://doi.org/10.1089/bfm.2022.0190. (Consulté le 25/10/2023)
  8. Health Canada. Alerte de Pharmacovigilance. Août 2023 (Consulté le 25/10/2023)
  9. West, Diana., Marasco, Lisa. Making more milk, 2nde Edition.2019. Disponible gratuitement sur demande au CERDAM pour les adhérent·es.

Rédaction par Elise Armoiry, Dr en pharmacie et Consultante en lactation IBCLC. Publication par JC, documentaliste

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