Sécurité du sommeil partagé dans le cadre de l’allaitement maternel

12 décembre 2023 | Articles thématiques

Comment accompagner en toute sécurité les jeunes parents sur le thème du sommeil, et notamment du sommeil partagé, dans le cadre de l’allaitement maternel?

En pratique clinique de consultante en lactation, on peut être amené à rencontrer des parents qui avouent à demi-mot: “je sais que je ne devrais pas mais je dors avec bébé dans mon lit car c’ est le seul moyen de dormir, même dans le lit cododo bébé ne dort pas” (Parfois suivi d’un “ mais je ne le dis pas au médecin/à la pmi/ au pédiatre…”), ou encore des mères qui sont terrorisées à l’idée de s’endormir auprès de leur bébé et de l’étouffer, et se lèvent pour s’installer dans le canapé pour allaiter la nuit.

En France, lors de la semaine de prévention de la Mort Inattendue du Nourrisson (MIN), on rappelle aux parents que bébé doit coucher dans son berceau et ne pas partager le lit des parents.(1)

D’un côté les pouvoirs publics et professionnels de santé alertent sur le danger lié au partage du lit entre la mère et son bébé, où l’enfant serait en danger d’être écrasé par l’adulte. De l’autre côté, on insiste sur l’importance d’allaiter à la demande du bébé, et sur les bienfaits de l’allaitement maternel, et l’importance des tétées nocturnes… ce qui implique que les mères doivent rester éveillées et vigilantes et reposer le bébé dans son lit après chaque tétée.

Les parents cherchent donc des moyens alternatifs pour respecter ces recommandations, par exemple des mères qui se lèvent pour allaiter dans un fauteuil à bascule ou un canapé, de peur de s’endormir en allaitant bébé allongée, ou  des parents qui se relaient la nuit toutes les 3 heures pour dormir, un parent dans le lit, l’autre parent assis dans le canapé avec bébé dans les bras.

Par ailleurs l’allaitement protège de la MIN (2), et comme le souligne le comité scientifique de la COFAM: “Plusieurs publications de la dernière décennie montrent une réduction des MIN chez les enfants allaités.

L’allaitement n’a pas besoin d’être exclusif pour conférer cette protection à condition qu’il dure au moins deux mois. Le bénéfice est toutefois supérieur pour un allaitement exclusif et prolongé au-delà.”

L’Academie Américaine de Pédiatrie (AAP)  est à l’origine de nombreuses campagnes de prévention pour empêcher le partage du lit (photo de bébé dans un lit d’adulte dont la tête de lit est une pierre tombale, ou dans un lit avec un couteau).(3,4)

Les recommandations françaises s’inspirent de ces recommandations et indiquent que “Le partage du lit est également un facteur de risque indépendant, multipliant par 5 le risque de MIN chez les moins de 3 mois  ; le partage de la chambre des parents serait en revanche bénéfique et diminuerait le risque de MIN de 50%, probablement en facilitant la surveillance de l’enfant, son accessibilité et un repositionnement plus facile dans son lit en cas d’allaitement .”

Or ces recommandations de l’AAP sont remises en cause, notamment par deux anthropologues spécialistes de la MIN (3,5) qui indiquent que  les études sur lesquelles elles se basent comportent de nombreux biais, mais également par des associations qui proposent des recommandations pour le sommeil partagé (UNICEF Uk baby friendly, LLL, la COFAM)(6-8).

 Ces chercheurs anthropologues étudient le sommeil des bébés et des dyades allaitantes, et la prévention de la MIN:  Helen Ball en Angleterre,  et James Mc Kenna aux Etats Unis. 

Vous trouverez au CERDAM le dernier Ouvrage de James McKenna, Safe Sleep , dont nous avons réalisé une présentation (3,4).

Nous vous avions déjà présenté le travail de Helen Ball et son webinaire et son site d’information BASIS (5) qui contient des fiches d’informations en français.

Ces deux experts expliquent que, d’après les études, interdire le partage de la surface du sommeil n’empêche pas les parents de le faire, et au contraire les amène à le faire dans des conditions potentiellement dangereuses par défaut d’information. Cela les amène également à mentir aux professionnels de santé, créant l’impression que le partage de la surface de sommeil est une pratique isolée, alors qu’il est très répandu.

James Mc Kenna souligne également que les conditions de sommeil peuvent être différentes chaque nuit, ou en début et fin de nuit, et que des parents ayant décidé de ne pas dormir avec leurs bébés, peuvent se retrouver à le faire en milieu de nuit en raison des conditions de fatigue extrême, dans des conditions dangereuses. D’où l’importance de leur donner les informations concernant les conditions de sécurité en cas de partage du lit.

Ces deux chercheurs expliquent que pour le bébé, dormir à proximité de sa mère est la norme biologique. Cela favorise son développement neurologique et répond au besoin de contact physique ( toucher, odeurs, sons, goût) jour et nuit , ce qui favorise l’allaitement et la relation d’attachement, mais également les réveils nocturnes qui sont protecteurs de la MIN.

Du fait de son immaturité, le petit humain a besoin d’énormément de contact les 3 premiers mois. Cette proximité, y compris la nuit, a donc un impact en termes de survie et de bien-être.

S’ il existe des facteurs de risques indéniables à la mort inattendue du nourrisson (enfant vulnérable, tabac durant la grossesse par exemple), ces auteurs nuancent le risque en fonction de facteurs de risque spécifiques et non uniquement en fonction de la localisation du sommeil. Ainsi , dans les études, il apparaît qu’en cas d’allaitement maternel, chez une mère sobre , le risque de MIN est très limité en cas de partage de la surface de sommeil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est le concept du « Dormallaitement », ou « Breastsleeping », durant laquelle la mère adopte une position spécifique de protection en C, et réalise des inspections fréquentes de son bébé dans un demi- sommeil.

 L’effet protecteur de la proximité maternelle ( la mère réagissant immédiatement lorsqu’elle sent un problème chez son bébé) serait selon James Mc Kenna souvent occulté, du fait des biais des études utilisées pour rédiger les recommandations par l’AAP(voir l’article sur le livre safe sleep) et de la sous-déclaration des cas de partage du lit par les parents (qui préfèrent « cacher » qu’ils ne suivent pas les recommandations car se sentent coupables)

Ces deux anthropologues ont participé à la rédaction de recommandations internationales (9, 10) sur la sécurité du sommeil partagé.

Les recommandations internationales sont, par ordre d’ancienneté

  • Les recommandations de l’unicef uk Baby friendly (mises à jour en 2022)(6), dont s’inspirent les recommandations françaises de la COFAM (7)
  • Le protocole de l’Academy of Breastfeeding medicine de 2019 (9):
    • ce protocole détaille les risques liés au partage de la surface de sommeil 
    • Il préconise que tous les parents reçoivent des informations sur la sécurité du sommeil, y compris ceux relevant de risques particuliers ( en partant du principe qu’ils pourront être amenés à partager la surface du sommeil de leur bébé, même si on les décourage de le faire)
    • Il décrit en détail les éléments du partage du lit en toute sécurité, notamment la position en C qu’adoptent les mères allaitantes, position permettant d’allaiter et de surveiller bébé dans un demi-sommeil
  • Le protocole de l’Academy of Breastfeeding medicine de 2023 (10): ce protocole propose des stratégies pour répondre aux besoins physiologiques de proximité du nourrisson la nuit, et obtenir le plus de sommeil possible pour les parents, notamment en partageant le lit avec bébé. Il aborde également les thématiques de la normalité des réveils nocturnes, et des techniques d’apprentissage au sommeil qui sont à éviter les 6 premiers mois. Vous trouverez ci-dessous l’infographie réalisée par les auteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour rappel,voici le détail du protocole de l’ABM 2019 (9):

Les facteurs qui augmentent le risque de MIN et d’accidents mortels du sommeil, seuls ou en combinaison avec le partage du lit sont:

  •  Partager un canapé avec un adulte endormi (« partage de canapé »)
  •  Bébé dormant à côté d’un adulte dont les facultés sont affaiblies par l’alcool ou la drogue
  •  Bébé dormant à côté d’un adulte qui fume
  •  Dormir en position couchée sur le ventre
  •  Ne pas être allaité,
  •  Partager une chaise avec un adulte endormi
  •  Dormir sur une literie moelleuse
  •  Être né prématurément ou avec un faible poids à la naissance

Les Éléments de conseils en matière de partage du lit en toute sécurité, par ordre d’importance

  1. Ne dormez jamais avec un bébé sur un canapé, un fauteuil ou une surface inadaptée, y compris un oreiller . 
  2. Placez les nourrissons loin de toute personne dont les facultés sont affaiblies par l’alcool ou la drogue.
  3. Placez les nourrissons en décubitus dorsal pour dormir.
  4. Placer les nourrissons loin de la fumée secondaire et loin d’un parent qui fume régulièrement et de vêtements ou d’objets qui sentent la fumée (fumée tertiaire) (Dans les cas où la mère fume, cela ne sera pas possible).
  5. Le lit doit être éloigné des murs et des meubles pour éviter de coincer la tête ou le corps du nourrisson.
  6. La surface du lit doit être ferme, comme celle d’un berceau  sans couvertures épaisses (par exemple, couettes), oreillers ou autres objets qui pourraient provoquer un couvre-chef accidentel et une asphyxie.
  7. Le nourrisson ne doit pas être laissé seul sur un lit adulte.
  8. L’adoption de la position C (« câlin »), avec la tête du nourrisson face au sein de l’adulte, les jambes et les bras de l’adulte enroulés autour du nourrisson, le nourrisson sur le dos, loin de l’oreiller, est la position optimale. 
  9. Il n’existe pas suffisamment de preuves pour formuler des recommandations sur le partage du lit ou sur la position du nourrisson au lit par rapport aux deux parents en l’absence de circonstances dangereuses. 

Chaque localité devrait tenir compte des circonstances culturelles propres à sa situation en ce qui concerne les conditions de sommeil.

James Mc Kenna, dans l’ouvrage Safe Sleep, préconise également:

  • Un matelas au sol et au centre de la pièce , loin du mur ou de tables de chevet 
  • S’assurer que le conjoint sait que le bébé est dans le lit, et accepte de faire attention (si ce n’est pas un parent: pas de partage du lit)
  • Cheveux de la mère attachés s’ ils sont longs
  • Parents non obèses: l’obésité crée un facteur de risque en plus si le matelas n’est pas assez ferme, le bébé risquant de rouler vers le corps du parent.
  • Attention à la température et au risque d’avoir trop chaud pour bébé
  • Bébé ayant au moins la moitié de sa ration de lait au sein

En France, la COFAM précise les modalités concernant les couvertures: «  Si l’enfant dort dans une turbulette, ce qui est recommandé, pas de couette ou couverture supplémentaire »

Notons que les recommandations anglaises du NHS anglais (11) sur la prévention de la MIN ont changé afin d’inclure les conditions de sécurité en cas de partage du lit en 2023 suite à ces recommandations.

Alors que le sommeil est le principal sujet de conversation des parents, et qu’un véritable business se développe autour de cette thématique (coachs de sommeil, moniteurs de respiration, gadgets pour favoriser l’endormissement, etc), on observe une situation déconnectée de la réalité des parents en France. Dans la  société actuelle:

– la durée du congé maternité est un vrai challenge , pour l’allaitement mais aussi pour les nuits…reprendre son travail à temps plein à 2,5 mois avec un bébé qui a des réveils multiples (ce qui est normal)….

–  “l’endormissement autonome” et les techniques d’apprentissage du sommeil, délétères pour l’allaitement et le développement émotionnel du bébé, semblent alors la seule « option de survie », 

– les recommandations actuelles (1,12) ajoutent une difficulté supplémentaire au maintien de l’allaitement en mettant en garde contre le partage du lit dans toute situation, sans nuances en fonction des différents facteurs de risque (bébé vulnérable, tabagisme, canapé, etc). Cela ne permet pas aux parents de mettre en place des conditions de sécurité nécessaires en cas de partage du lit et aboutit à des situations potentiellement plus dangereuses, comme l’endormissement sur le canapé.

 

L’importance des 1000 premiers jours pour le bébé n’est plus à démontrer, et l’accompagnement des parents dans la période périnatale est primordial. Une discussion claire, basée sur les preuves, concernant les conditions de partage du sommeil et les facteurs  de risques associés semble indispensable pour cet accompagnement et une mise à jour des recommandations françaises, comme en Angleterre, serait bienvenue.

Par ailleurs, un allongement du congé maternité, comme c’est le cas dans d’autres pays, permettrait aux parents de vivre plus sereinement le défi représenté par les réveils normaux des bébés.

 

Rédaction par Elise Armoiry, Dr en pharmacie et Consultante en Lactation IBCLC.

Publication par Ll. C., documentaliste

 

Bibliographie

  1. Sante publique France. Dossier Mort Inattendue du Nourrisson. Disponible ici consulté le 10/11/2023
  2. Mort Inattendue du Nourrisson : effet protecteur de l’allaitement, site IPA. Disponible ici
  3. Ouvrage Safe Sleep, de James Mc Kenna. Disponible en emprunt au CERDAM.
  4. Elise Armoiry: présentation de l’ouvrage Safe Sleep de James Mc Kenna, site IPA (lien à ajouter)
  5. Elise Armoiry, Sommeil « normal » des bébés: retour sur le Webinar de l’anthropologue Helen Ball, site IPA novembre 2020 
  6. Sleeping with your baby at night (mises à jour en 2022), : Recommandations de l’UNICEF UK Baby Friendly 
  7. COFAM. Le sommeil partagé et l’allaitement. Disponible https://www.cofam-allaitement.org/le-sommeil-partage-et-lallaitement/ici, consulté le 19/11/2023
  8.  La Leche League.7 conditions pour partager le lit avec bébé en toute sécurité. Disponible ici et consulté le 19/11/2023
  9. Peter S. Blair, Helen L. Ball, James J. McKenna, et al. Bedsharing and Breastfeeding: The Academy of Breastfeeding Medicine Protocol #6, Revision 2019 Breastfeeding Medicine 2020 15:1, 5-16 .Consulté le 10/11/2023 et disponible ici
  10. Deena Zimmerman, Melissa Bartick, Lori Feldman-Winter, Helen L. Ball, and the Academy of Breastfeeding Medicine .ABM Clinical Protocol #37: Physiological Infant Care—Managing Nighttime Breastfeeding in Young Infants Breastfeeding Medicine 2023 18:3, 159-168 .Consulté le 10/11/2023 et disponible ici
  11. Site du NHS. Reduce the risk of sudden infant death syndrome (SIDS), consulté le 10/11/2023 et disponible ici
  12. Site des 1000 premiers jours. Le sommeil de bébé. 

 

Pour aller plus loin

  • site BASIS photos et leur fiches d’informations en Français ici 

Glossaire:

Nous reprenons ici les distinctions des types de localisation de sommeil du nourrisson de James Mc Kenna

  • Cododo ( cosleeping) à portée de bras mais sur une surface différente (ex:lit cododo, couffin)
  • Sommeil partagé sur la même surface: ex: lit,  canapé, fauteuil
  • Dormallaitement-breastsleeping: Sommeil partagé sur la même surface par une mère qui allaite : partage du lit dans le cadre de l’allaitement
  • Sommeil dans la même chambre (surfaces éloignées: berceau dans la chambre)
  • Sommeil dans autre chambre ( non recommandé car augmente la min)

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