Marketing abusif des substituts du lait maternel : une industrie qui pèse 55 milliards de dollars
Ce rapport concerne le marketing et non le produit. Ce rapport porte sur le droit fondamental des parents, mères et soignants d’accéder à des informations exactes et impartiales sur l’alimentation de leurs enfants. Ce rapport traite des intérêts de la santé publique contre les intérêts commerciaux qui cherchent à maximiser les profits à tout prix.
L’OMS et l’UNICEF ont mené une étude dans plusieurs pays pour comprendre comme le marketing de l’industrie des substituts du lait maternel influence nos décisions sur l’alimentation des enfants. Les conclusions de cette étude sont publiées dans un rapport qui expose clairement les problèmes, les enjeux et indique les actions nécessaires pour protéger les enfants et les familles contre des pratiques de marketing contraires à l’éthique.
Résumé rapide du rapport :
Les preuves sont solides. Le marketing, et non le produit lui-même, perturbe la prise de décision éclairée et compromet l’allaitement et la santé de l’enfant.
- Section 1 : décrit l’exposition des femmes au marketing des substituts du lait maternel dans les huit pays, et les canaux et tactiques utilisés pour les atteindre.
- Section 2 : présente un résumé des thèmes, images et messages utilisés par entreprises de lait industriel dans leur marketing.
- Section 3 : résume les connaissances et points de vue des professionnels de santé sur l’alimentation du nourrisson, et leur exposition et attitudes envers le marketing du lait industriel.
- Section 4 : rapporte les principales conclusions sur les perceptions des femmes sur l’alimentation du nourrisson et leur expérience en tant que cibles clés des messages et des stratégies de marketing.
- Section 5 : se tourne vers l’avenir, identifiant les opportunités d’agir sur ces connaissances pour atténuer la commercialisation contraire à l’éthique des substituts du lait maternel et pour favoriser des environnements qui soutiennent les femmes et les parents dans leurs décisions et pratiques d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants.
Principales conclusions :
- Le marketing des substituts du lait maternel est omniprésent, personnalisé, et puissant.
- Les entreprises utilisent des tactiques de marketing manipulatrices qui exploitent les angoisses et les aspirations des parents.
- Les fabricants de lait industriel en poudre déforment la science et la médecine pour légitimer leurs revendications et promouvoir leur produit.
- L’industrie cible systématiquement les professionnel·les de santé – dont les recommandations sont influentes – pour les inciter à promouvoir les préparations pour nourrissons.
- Le marketing du lait artificiel sape la confiance des parents dans l’allaitement.
- Les contre-mesures peuvent être efficaces, mais doivent être largement étendues et renforcées.
Opportunités d’action proposées :
- Reconnaître l’ampleur et l’urgence du problème.
- Légiférer, réglementer, appliquer.
- Protéger l’intégrité de la science et de la médecine.
- Protéger la santé des enfants sur les plateformes numériques.
- Investir dans les mères et les familles, désinvestir des
entreprises des substituts du lait maternel. - Développer les coalitions pour conduire l’action.
Le rapport a été présenté lors d’un webinaire diffusé par l’OMS.
Nous vous proposons ici une transcription en français de la présentation du rapport par deux contributeurs, Nigel Rollins et Anna Gruending.
Message d’introduction de Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS :
« Chers collègues et amis, ce que les enfants consomment pendant leurs premières années de vie peut profondément affecter leur développement et leur avenir. C’est pourquoi les parents et les professionnel·les de santé doivent avoir accès à des informations scientifiques fondées sur des preuves et à un soutien sans intérêts commerciaux. Ce nouveau rapport de l’OMS et de l’UNICEF expose les tactiques de marketing utilisées par l’industrie commerciale des substituts du lait maternel, qui ont conduit à la surconsommation de lait en poudre industriel et nuit à l’allaitement. Le rapport montre comment les entreprises tentent d’influencer les femmes enceintes, les mères et les autres parents, ainsi que le personnel de santé par le biais de cadeaux publicitaires et d’incitations financières, et d’allégations scientifiques trompeuses. Il y a plus en jeu qu’une part de marché, la consommation de lait en poudre industriel peut nuire à la santé, à la croissance et au développement des enfants. Dans tous les pays, à bas ou à hauts revenus, l’utilisation de préparations industrielles pour nourrissons plutôt que l’allaitement augmente les risques de mortalité due aux maladies diarrhéiques et respiratoires, à l’obésité infantile, au diabète et au cancer du sein maternel. Bien qu’il y ait des raisons pour lesquelles les parents choisissent d’utiliser des substituts du lait maternel, il n’y a aucune excuse pour des techniques de marketing qui poussent à l’utilisation de lait industriel quand ce n’est pas nécessaire. L’OMS travaille avec des partenaires et aide les pays à mettre en œuvre le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel. Ensemble, arrêtons la commercialisation de la santé de nos enfants. »
Présentation du rapport par deux contributeurs
Nigel Rollins :
« L’alimentation du nourrisson est importante, la façon dont les enfants sont nourris au cours des 6, 12 et 24 premiers mois de la vie a un impact remarquable sur la biologie humaine. Cela a ensuite un effet sur la santé et le développement tout au long de la vie et a également un impact réel sur la santé maternelle. De manière frappante, jusqu’à 800 000 vies d’enfants seraient sauvées chaque année si les pratiques d’alimentation étaient conformes aux recommandations de l’OMS.
Mais il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les femmes ne peuvent pas ou préfèrent ne pas allaiter et nous avons pu observer certaines tendances au cours des 20 dernières années. Les changements dans les pratiques d’allaitement ont été moindres que ce que nous aurions espéré. Les contraintes de travail, la protection inadéquate de la maternité, le sentiment qu’une mère n’a pas assez de lait, certaines normes sociétales et le manque de soutien des soins de santé ont tous un impact sur la décision d’une femme d’allaiter ou non.
Cependant, le marketing commercial des préparations pour nourrissons a incontestablement également un impact et c’est vraiment l’objet de cette recherche et du rapport. L’Assemblée mondiale de la santé en 1981 a adopté ce qu’on a appelé le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel en réaction aux pratiques observées au cours des 30 ou 40 années précédentes : depuis que le premier lait en poudre industriel a été breveté, il y a eu des tentatives d’inciter à la surconsommation de ces produits, et dans les années 1970, il y a eu le fameux rapport « The Baby Killer » après lequel l’Assemblée mondiale de la santé et de nombreux pays ont convenu collectivement qu’il fallait faire quelque chose et ont formulé ensemble des recommandations selon lesquelles la commercialisation des substituts du lait maternel ne devrait pas être une pratique admise. L’un des problèmes est que notre compréhension du marketing est probablement très fragmentée. Nous connaissons les techniques de publicité avec des affiches ou des cadeaux gratuits, mais le marketing se produit aussi dans de multiples autres environnements, influence la politique et les investissements, influençant les normes et les organismes de réglementation internationaux sur le marché du travail. Mais ce rapport se concentre vraiment sur les informations et les attitudes avec lesquelles le marketing essaie d’influencer à la fois au niveau individuel, sanitaire, professionnel et communautaire les attitudes de chacun d’entre nous, et sur son impact sur nos habitudes, nos pratiques.
Concernant le marketing, nous savons qu’en 2019, le chiffre d’affaires annuel de l’industrie des substituts du lait maternel s’élevait à 55 milliards de dollars, ce qui représente une grosse somme d’argent. Et nous savons qu’entre cinq et dix pour cent des ventes annuelles ou des investissements sont consacrés au marketing, ce qui représente entre trois et cinq milliards de dollars chaque année qui sont dépensés uniquement pour le marketing. Pour référence, le budget de fonctionnement de l’OMS pour les deux années 2020 et 2020 combinées était de 5,8 milliards. Ainsi, l’industrie investit plus dans le marketing chaque année que l’OMS n’a d’argent disponible pour l’ensemble de ses activités. »
Anna Gruending :
« Je pense qu’il vaut la peine de prendre un moment pour mentionner l’importance cruciale de bien comprendre la problématique et le contexte. Soyons clairs dès le début. Ce rapport concerne le marketing et non le produit. Ce rapport porte sur le droit fondamental des parents, mères et soignants d’accéder à des informations exactes et impartiales sur l’alimentation de leurs enfants. Ces droits sont clairement définis et protégés par la Convention des droits de l’enfant. Ce rapport traite des intérêts de la santé publique contre les intérêts commerciaux qui cherchent à maximiser les profits à tout prix.
Nous savons que les industriels pourraient essayer récupérer ce débat en leur faveur, comme ils l’ont déjà fait dans le passé. Ils chercheront peut-être à suggérer que l’UNICEF, l’OMS et leurs autres partenaires opposent les mères allaitantes aux mères nourrissant au lait industriel. Ce n’est pas le cas. Ils pourront essayer de présenter ce rapport comme une tentative de limiter l’accès des femmes au lait industriel, ce n’est pas non plus le cas. Et ils peuvent présenter cela comme une mise en compétition entre les droits des femmes et les droits des enfants comme s’il s’agissait d’un jeu à somme nulle. Ce n’est pas non plus le cas. »
Nigel Rollins :
« L’étude a été menée dans huit pays et a tenté d’aborder deux questions :
- Quelles sont les expériences et les attitudes des femmes envers le marketing ?
- Quelles sont les expériences et les attitudes des professionnel·les de la santé vis-à-vis de la commercialisation des substituts du lait maternel ?
L’étude n’est pas destinée à prouver que le marketing fonctionne, car nous savons déjà que cela fonctionne. Cela est déjà discuté dans la littérature de santé publique : tabac, alcool, commercialisation des boissons sucrées…etc. C’est tellement clair que cela fonctionne réellement, que nous n’avons même pas besoin d’aller chercher dans la littérature scientifique. Nous voyons bien que pour tous les produits (chaussures, voitures, café…etc. peu importe) et même pour de la promotion de la santé (ceintures de sécurité, activité physique…etc.) le marketing fonctionne. Et il y a environ 3 à 5 milliards de dollars d’investissements dans le marketing du lait industriel chaque année. Cela n’arriverait pas si le marketing n’avait pas d’influence.
La conception de l’étude a commencé par la question suivante : quelles données seraient nécessaires pour une campagne de marketing commercial ? Au lieu d’essayer de collecter des données représentatives d’un pays sur les pratiques d’alimentation, nous sommes allés dans les milieux où les tendances, les valeurs et les croyances sont établies : ce sont généralement les milieux urbains. C’est donc à ce périmètre que s’est limitée l’étude. Notre objectif était de capturer ce que l’industrie et le marketing appellent le « parcours client », d’entendre les voix des femmes. Plusieurs méthodes ont été utilisées : examens de dossiers, journaux téléphoniques, discussions de groupe, entretiens approfondis, outils d’enquête. Ces données ont été collectées et synthétisées, puis analysées dans une perspective de marketing. Pour tout cela, nous avons engagé l’expérience et l’expertise d’une entreprise spécialisée dans la communication et le changement de comportement. Ces domaines d’expérience sont exactement les mêmes domaines qui sont utilisés dans le marketing commercial. Il est donc important de dire que les résultats ne sont pas représentatifs d’un pays, mais qu’ils sont représentatifs des populations où les tendances et les valeurs sont établies.
Les 8 pays où la recherche a été menée sont : Bangladesh, Chine, Mexique, Maroc, Nigeria, Afrique du Sud, Royaume-Uni et Vietnam. C’est varié, mais il y a un pays pour chaque région du monde et ils représentent à la fois des pays à revenus élevés, faibles et intermédiaires. Et ils reflètent également une variété de pratiques d’allaitement.
Les conclusions que je vais partager sont celles rapportées par M&C Saatchi World Services, un groupe spécialisé dans le changement de comportement et la communication.
Il y avait plus de 8500 femmes interrogées qui ont participé à l’enquête. Il y a eu plus de 90 discussions de groupes de femmes, plus de 140 journaux téléphoniques ont été collectés, plus de 300 entretiens ont été menés avec des professionnels de la santé, 22 groupes de discussion avec divers influenceurs, et nous avons même eu 10 entretiens approfondis avec des responsables marketing et deux discussions de groupe avec des Yuesaos (nourrices qui soutiennent les familles pendant la période postnatale. )
Quelques-unes des principales découvertes :
C’est le caractère persuasif et invasif du marketing qui a dominé les résultats. Sur les 8 500 femmes interrogées, plus de 50 % ont déclaré avoir vu ou entendu des messages marketing au cours de l’année précédente. Et cela ne représente que le niveau minimum d’exposition parce que ce que les femmes ont déclaré avoir vu ou se souvenir d’avoir vu et entendu ne reflète pas toutes les autres façons dont le marketing peut se dérouler autour d’elles. Ce sont les femmes urbaines en Chine, au Vietnam et au Royaume-Uni qui ont le plus déclaré être exposées.
Nous avons pu voir également à quel point le marketing était personnalisé, et cela s’est produit à travers une multiplicité de canaux et d’approches, de plateformes de médias sociaux, d’influenceurs, de conférences et d’événements. Il y avait des interaction directes entre les représentants de l’entreprise et les mères par le biais de la télévision, entre 3 et 46% des femmes selon les pays ont reçu des échantillons gratuits. Cela passait aussi par des promotions et des cadeaux, des « clubs Bébé », des lignes d’assistance 24h/24 et 7j/7 et également par l’intermédiaire de professionnels de la santé.
Ce que nous avons vu partout, c’était l’utilisation du langage et de l’imagerie scientifique pour des affirmations pseudo-scientifiques. Tout cela visait à renforcer la confiance en la marque et assurer sa force de conviction. Les produits étaient présentés comme proches, équivalents et même parfois supérieurs au lait maternel et les données scientifiques étaient couramment utilisées pour insinuer que ces produits donnaient de meilleurs résultats pour la santé. Et cela à contre-courant du consensus dans littérature scientifique sur la santé à ce sujet. Ce que nous avons clairement vu, c’est qu’il existe de nombreux nouveaux produits qui se concentrent sur les allergies et les diverses sensibilités, et les rapports de l’industrie détaillent comment les entreprises considèrent ce marché comme un nouveau domaine prometteur pour la croissance des ventes et des affaires.
Nous voyons que des appels aux rêves et aspirations des parents sont utilisés partout. Dans certaines parties du monde, on a observé des décors occidentalisés, utilisant un langage tel que la « qualité hollandaise » ou la « pureté suisse » ou même montrant les champs verdoyants d’Irlande, qui veulent dire « C’est de là que vient le lait ». Les publicités se concentrent généralement sur la façon dont les produits favoriseraient le développement ou la croissance du cerveau et, dans certains contextes, la participation des hommes dans l’éducation était montrée, véhiculant ainsi à quel point le lait artificiel fait partie du mode de vie moderne et en insinuant que l’allaitement est en quelque sorte dépassé.
Ce qui était vraiment très troublant, c’était la mesure dans laquelle le marketing exploitait les vulnérabilités et les émotions. L’industrie se positionne, comme étant conviviale, sans jugement : nous sommes là pour vous accompagner, nos produits font partie de la solution. Quelques mamans témoignent : « Je prenais en compte les bénéfices que mon bébé pouvait en tirer ou mon besoin réel. Si je voulait favoriser le développement du cerveau ou du système digestif en hauteur, je pouvais trouver la formule adéquate. » ; « Je sais que ça sonne mal, mais mon instinct de maman a pris le dessus et il voulait le produit le plus cher, pour me rattraper de ne pas l’allaiter. » ; « Encore une fois, du lait Confort. J’ai pensé que c’était une bonne idée. Vous ne voulez que ce qu’il y a de mieux pour votre enfant. »
C’est alors la règle de confiance des professionnels de la santé qui est devenue très évidente dans les résultats. Dans tous les pays, il est clair que les professionnels de la santé sont la principale source d’éducation et de confiance sur les pratiques d’alimentation des nourrissons. Pourtant, les professionnels de la santé de tous les pays, mais en particulier du Maroc, du Nigéria et du Vietnam, ont signalé que les contacts avec les fabricants de lait artificiel étaient tout simplement extrêmement courants. Des avantages étaient offerts, des commissions, des rôles d’ambassadeur des ventes, des financements pour la recherche, des marchandises, des cadeaux et des compensations financières. Les voyages n’étaient pas rares. Nous voyons ensuite ces relations se refléter dans les paroles des professionnels de la santé à destination des mères. Des mères en post-partum ont reçu la recommandation de professionnels de la santé d’utiliser un produit industriel pour nourrisson. Au Bangladesh, 57 % des femmes en post-partum ont déclaré avoir reçu ces recommandations, 40 % au Mexique, 22 % même en Afrique du Sud.
Alors, que nous dit l’étude sur la commercialisation des substituts du lait maternel ? Il ne serait pas surprenant que l’OMS ou l’UNICEF fassent leur propre commentaire. Mais nous relayons ici d’abord les mots de M&C Saatchi World Services. Ce sont des experts en changement de comportement et en communication, les types de compétences et de pratiques qui sont nécessaires en marketing. Leurs conclusions étaient les suivantes : le marketing des substituts du lait maternel est très avancé et ciblé. La commercialisation insidieuse du lait industriel est très répandue. Le marketing exploite les angoisses et les aspirations maternelles. Les industriels ciblent les professionnels de la santé et le marketing cherche à saper la confiance dans la valeur perçue de l’allaitement maternel et, par conséquent, cela compromet la poursuite de l’allaitement.
Mais qu’y a-t-il de différent dans cette étude ? Il y a eu de nombreux rapports de violations du Code OMS depuis des années. Mais il s’agit de la première étude systématique et mondiale de ce type, elle a été conçue, mise en œuvre et les données interprétées par des personnes qui ont l’expertise en matière de changement de comportement et en communication. Plus important encore, les voix des femmes ont été entendues, plus de 8500 ont été interrogées, c’est-à-dire environ 1000 dans chaque pays.
Et quelles ont été nos conclusions, à l’OMS et l’UNICEF ? La première est que la commercialisation des substituts du lait maternel est présente partout. Et cela malgré le fait que les fabricants assurent qu’ils essaient de s’aligner sur le Code. Nous voyons des stratégies de marketing différenciées, la publicité conventionnelle, les médias sociaux, des professionnels de la santé, être utilisées. Cela reflète l’opportunité de croissance vue par l’industrie et le manque d’efficacité des cadres réglementaires au sein des pays. Cela montre clairement que le marketing se positionne comme un produit pour résoudre les problèmes de la vie : « Nous vous comprenons. Nous sommes à vos côtés. ». La science est largement utilisée pour renforcer la confiance dans les produits industriels, bien que les affirmations observées puissent être incompatibles avec le corpus actuel de littérature scientifique basée sur les preuves. Nous voyons à quel point les plateformes numériques sont largement utilisées et qu’elles sont capables de cibler et de créer des relations en fonction des profils individuels. Les inférences, les suggestions, sont souvent utilisées pour exploiter les espoirs et les peurs. Et nous voyons maintenant, après des décennies de marketing, à quel point les normes et les croyances sociétales, même parmi les professionnels de la santé, ont évolué vers une acceptation du fait que les préparations pour nourrissons sont tout simplement inévitables ou nécessaires pour tous. Et enfin, auprès des professionnels de santé, il semble y avoir une dissonance cognitive. Parce qu’ils affirment volontiers que l’allaitement est l’alimentation la plus adaptée pour le nourrisson, mais ensuite, ils diffusent largement des recommandations pour la consommation de produits industriels.
Nous sommes tous confrontés au marketing chaque jour. Et donc peut-être qu’il n’est pas surprenant que nous ayons aussi du marketing autour de ces produits infantile. Mais il y a quand même quelque chose de différent. Tout d’abord, le marketing des substituts du lait maternel a un impact direct sur la survie, la santé et le développement des enfants et des femmes. Deuxièmement, il perturbe l’accès à des informations et à un soutien impartiaux et véridiques, qui sont si nécessaires pour que les parents puissent prendre des décisions. Et c’est un droit humain essentiel, il est caractérisé dans la convention sur les droits de l’enfant. Troisièmement, il fait fi du Code international de commercialisation qui représente pourtant la volonté collective de l’Assemblée Mondiale de la Santé. Enfin, à une époque où nous sommes si vulnérables, où nous avons tant d’aspirations et d’espoirs, où la naissance de nos enfants et leurs premières années se déroulent à une époque si emblématique de la société humaine, nous voyons tout cela être utilisé comme une opportunité commerciale et un jeu financier. »
Anna Gruending :
« Permettez-moi de réitérer quelques points rapides. Premièrement, les femmes ont le droit de prendre les décisions qu’elles jugent les meilleures pour elles-mêmes et pour leur famille. Mais nous avons vu dans l’étude que que les femmes sont souvent la cible principale de la commercialisation des substituts du lait maternel et ce depuis des décennies. Comme cette étude et de nombreuses autres études l’ont montré, de nombreuses femmes expriment un fort désir d’allaiter. Mais ensuite, elles rencontrent un manque de soutien et un marketing implacable. Il est de notre devoir de veiller à ce que les femmes et les familles aient accès à des informations et des preuves scientifiques impartiales afin qu’elles puissent prendre les décisions qui leur conviennent. Peu importe le mode d’alimentation qu’elles choisiront. Deuxièmement, nous avons de nouveau vu à quel point les personnels de santé sont importants pour soutenir les familles, en particulier celles qui ont de jeunes enfants, et sont souvent identifiés comme source fiable d’informations. Et pourtant, comme nous avons vu dans ce rapport à quel point ils sont systématiquement ciblés par l’industrie.
Et troisièmement, nous savons que certains gouvernements ont activement adopté des lois et des politiques visant à restreindre la commercialisation sans limiter l’accès aux produits. Malheureusement, il y a encore du chemin à faire. En fait, seuls 25 pays ont des lois qui sont substantiellement alignées sur le Code OMS, laissant la plupart des autres avec des lacunes que l’industrie se fera un plaisir d’exploiter. Donc, sur la base de cette nouvelle étude, il y a des actions immédiates et tangibles qui, selon nous, peuvent être prises. Le rapport en mentionne six, mais permettez-moi de commencer par les trois premiers ici.
- Nous appelons à des investissements accrus dans des mesures de grande envergure qui peuvent soutenir les mères et les familles. Cela comprend des congés de maternité et de paternité payés adéquats et un soutien à l’allaitement de haute qualité qui comprend l’accès à des professionnels de santé formés
- Nous avons besoin d’actions pour protéger l’intégrité de la science et de la médecine. Les professionnel·les de santé sont nos principaux alliés, mais ils sont également des cibles du marketing. Mais ils peuvent adopter et mettre en œuvre de solides politiques de conflit d’intérêts. Cela signifie également que nous pouvons réprimer l’utilisation abusive de la science et arrêter la propagation d’allégations non fondées.
- Peut-être le plus important, nous appelons tous les pays à légiférer, réglementer et appliquer les lois. Là où il n’y a pas de lois, de nouvelles lois peuvent être adoptées, là où des lois existent, elles peuvent être renforcées avec une plus grande application. Les gouvernements ont un rôle clé à jouer pour tenir les entreprises de substituts du lait maternel responsables de leurs pratiques.
Rappelons-nous également que la société civile n’est pas une spectatrice. Chacun·e de nous peut jouer un rôle selon ses capacités personnelles et professionnelles à faire face à ce marketing abusif. »
- Lire le rapport de l’OMS (en anglais)
- Visionner le webinaire de présentation du rapport (en anglais ou en français)
World Health Organization et United Nations Children’s Fund (UNICEF). How the marketing of formula milk influences our decisions on infant feeding. Geneva : World Health Organization, 2022. [Consulté le 13 juin 2022]. ISBN 978-92-g0-9.
Pour aller plus loin :
- « La deuxième mère » : comment l’industrie de l’alimentation infantile capture la science, les professions de santé et la société civile en France
- Comment le marketing des substituts du lait maternel fonctionne
- Recommandation 11 de l’IHAB : le respect du Code OMS
- Scope and impact of digital marketing strategies for promoting breastmilk substitutes, rapport OMS 2022
- Guidance on ending the inappropriate promotion of foods for infants and young children Implementation manual, 2017
Mais aussi …
- Nos autres articles sur le Code de commercialisation des substituts du lait maternel
- Découvrez nos ressources documentaires sur Code de commercialisation des substituts du lait maternel *
*Ces documents sont disponible sur demande chez IPA.
Voir les conditions de consultation au Centre de Ressources CERDAM d’IPA.
Publié par : JC, Documentaliste IPA.
Mots clés : code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel (OMS), conflits d'intérêt, marketing, OMS, substituts, UNICEF