Freins restrictifs buccaux
Présentation de 2 rapports d’experts en 2020
On parle beaucoup en ce moment des freins restrictifs buccaux (freins de langue, freins de lèvres et freins de joue) sur les réseaux sociaux, sur les sites internet concernant l’allaitement mais aussi à l’occasion de congrès sur l’allaitement.
Les freins restrictifs buccaux sont de plus en plus souvent incriminés dans les difficultés d’allaitement mais aussi les problèmes de reflux gastro-œsophagien, ou les troubles du sommeil ou plus tard du langage. La frénotomie est alors proposée, parfois avec en plus un protocole complexe impliquant des séances et des massages/étirement de la lèvre/ langue à effectuer avant la frénotomie puis après frénotomie à horaires fixes y compris la nuit. On observe concernant ces protocoles une disparité des pratiques entre professionnels de santé.
C’est également un sujet récurrent en consultation de soutien à l’allaitement où la question de la présence de freins de langue ou de lèvre et de leur rôle dans les difficultés d’allaitement est fréquemment posée par les parents.
Aussi nous vous proposons une synthèse de deux rapports d’experts publiés en 2020 sur cette thématique.
Des taux de frénotomies qui interpellent
On observe au niveau mondial une augmentation des diagnostics d’ankyloglossie (freins de langue) et des frénotomies : augmentation de 89% entre 2004 et 2013 au Canada (1), multiplication par 5 entre 2003 et 2012 aux Etats Unis, augmentation de des frénotomies sur la dernière décade en Australie (2,3). En Angleterre, des spécialistes alertent encore récemment (4) sur la forte recrudescence de frénotomies pour freins postérieurs et freins de lèvres.
Une revue Cochrane en 2017 (5) basée sur 5 études contrôlées randomisées conclue que chez un enfant présentant un frein de langue et des difficultés d’allaitement, la frénotomie n’améliore pas toujours l’alimentation de l’enfant mais peut améliorer les douleurs maternelles, avec une qualité de preuve faible à modérée. Cette publication souligne le besoin d’essais contrôlés randomisés de haut niveau méthodologique afin de mieux évaluer l’impact des frénotomies.
Deux conférences de consensus ont été publiées en 2020 au sujet des freins restrictifs buccaux :
-une conférence de consensus américaine (2) basée sur l’opinion de médecins spécialisés en Otorhinolaryngologie concernant le diagnostic, la prise en charge et le traitement de l’ankyloglossie. Dans ce document, certaines affirmations ont permis un consensus des experts alors que d’autres n’ont pas atteint de consensus, mettant en évidence les disparités d’opinions sur cette thématique.
-une conférence de consensus de l’Association australienne de dentistes (3), réalisée à partir de discussions de dentistes, consultant.e.s en lactation ibclc, ostéopathes, chiropracteurs, sages-femmes, chirurgiens maxillofacial et orthophonistes après revue de la littérature scientifique. Ce document encadre notamment le diagnostic et la prise en charge des freins de langue et de lèvres.
Vous trouverez dans le tableau ci-joint une synthèse des conclusions de ces 2 documents (Tableau 1).
On peut noter que ces 2 conférences de consensus se rejoignent sur les éléments suivants :
–les outils diagnostics de l’ankyloglossie : il y a plusieurs échelles d’évaluation existantes et celles basées uniquement sur l’anatomie ne mettent pas en évidence les problèmes de fonction de la langue, aussi un diagnostic avec une échelle évaluant fonction et apparence est préférable ;
–les freins buccaux (freins de joue) ne devraient pas être coupés ;
-les freins de lèvre : les freins de lèvre sont normalement présents chez le nourrisson avec une grande variabilité anatomique et leur impact dans les difficultés d’allaitement n’est pas clair, il n’y a pas de preuve de l’intérêt d’une frénotomie labiale dans les difficultés d’allaitement, la prévention des troubles du langage ou des diastèmes. La position des experts australiens était plus ferme à ce sujet alors que dans la conférence de consensus américaine, il y a des items concernant le frein labial qui ne font pas consensus ;
– La technique de la frénotomie : il n’y a pas de preuve de la supériorité d’une technique sur une autre. Ciseaux ou lasers sont mentionnés dans les 2 documents mais la conférence de consensus australienne précise les risques spécifiques du laser et déconseille son utilisation chez le nouveau-né ;
– les complications possibles de l’ankyloglossie : il n’y a pas actuellement de preuve de l’impact des freins de langue sur l’apnée du sommeil, le reflux gastro-oesophagien, les difficultés de diversification alimentaire ou les troubles du langage. Dans une minorité de cas, des enfants développeront des troubles du langage en raison de l’ankyloglossie. Il n’y a pas lieu de réaliser une frénotomie préventive ;
– les frénotomies n’améliorent pas toujours les difficultés d’allaitement et avant intervention une évaluation par un.e consultant.e en lactation et des mesures non chirurgicales (optimisation de la position, prise de sein, fréquence des tétées, utilisation de matériel) devraient être mises en place ;
-il n’y a pas de garantie d’amélioration de l’allaitement avec la frénotomie. Après frénotomie un accompagnement par un.e consultant.e en lactation est nécessaire ;
-il n’y a pas de preuve justifiant les soins post-opératoires de type « massage actif », étirement de la plaie ou élévation de la langue et ils augmentent les risques infectieux, de délai de cicatrisation et les risques de formation de brides cicatricielles.
Il faut noter que les 2 documents proposent un protocole de gestion de la douleur chez l’enfant (en France l’intervention est parfois présentée aux parents comme « indolore »).
Des sujets de controverse entre experts
Les éléments restant sujets à controverse :
–les freins de langue postérieurs : il n’y a pas de consensus entre les experts de la conférence de consensus américaine à ce sujet, alors que le document australien recommande d’abandonner la définition de freins de langue postérieurs. En effet, suite à l’article de Mills de 2019 (5) certains experts réfutent l’existence de ce type de freins alors que d’autres auteurs (6 ) estiment que chaque frein cache un frein postérieur ;
– les complications de la frénotomie : la conférence de consensus australienne est plus prudente sur les risques et souligne notamment les possibilités de risques hémorragiques chez le nourrisson avec risque vital engagé ;
-l’intérêt des thérapies manuelles dans la prise en charge de l’ankyloglossie : il n’y a aucune mention dans le document américain. Le document australien mentionne que quelques études soutiennent les thérapies manuelles (ostéopathie/chiropraxie) en cas d’allaitement suboptimal mais qu’il n’y a pas de preuve de leur intérêt dans la prise en charge de l’ankyloglossie seule.
En conclusion, ces deux documents mettent en évidence les controverses actuelles sur le sujet des freins restrictifs buccaux et le manque de données scientifiques permettant de justifier les tendances observées en France dans la pratique quotidienne du soutien à l’allaitement.
On observe au niveau international une tendance à l’encadrement des pratiques autour de la frénotomie en raison de l’explosion du nombre d’actes réalisés chez les enfants.
En attendant des recommandations françaises de bonne pratique, il est intéressant de disposer de l’opinion d’experts afin de pouvoir apporter aux parents des informations sur l’état des connaissances scientifiques sur cette thématique.
Bibliographie
- Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health. Frenectomy for the Correction of Ankyloglossia: A Review of Clinical Effectiveness and Guidelines; 2016 Jun 15.
- Anna H. Messner, Jonathan Walsh, Richard M. Rosenfeld et al. Clinical Consensus Statement: Ankyloglossia in Children. Otolaryngology, Head and Neck Surgery, 2020, Vol. 162(5).pp 597–611
- Australian Dental Association 2020. Ankyloglossia and Oral Frena C Consensus Statement. [en ligne]. Disponible ici. Consulté le 08/10/2020
- BMJ Opinion. Posterior tongue tie: the internet phenomenon driving a lucrative private industry [en ligne]. Disponible ici. (Consulté le 08/10/2020)
- Joyce E O’Shea , Jann P Foster , Colm Pf O’Donnell et al. Frenotomy for tongue tie in newborn infants. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 3.
- NICE. Division of ankyloglossia (tongue-tie) for breastfeeding [en ligne] Disponible ici ( Consulté le 06/10/2020)
- Nikki Mills, Seth Pransky, Donna T. Geddes et al. What Is a Tongue Tie? Defining the Anatomy of the In-Situ Lingual Frenulum. Clinical Anatomy, 2019. Published online in Wiley Online Library DOI: 10.1002/ca.23343.
- Dr Gaheri. Rethinking tongue-tie anatomy [en ligne]. Disponible ici (Consulté le 17/07/2020.)
Pour aller plus loin
- Les problèmes d’allaitement devrait être le seul critère pertinent pour décider s’il y a lieu de pratiquer une frénotomie chez l’enfant en bas âge
- Ressources du fonds documentaire d’IPA : Supporting Sucking Skills in Breastfeeding infants, Catherine Watson Genna , 2nde edition (2013) : regard d’une consultante en lactation
- Bibliographie : revues systématiques et méta-analyses sur les freins de langues et de lèvres, 2016/2020
- La saga des « freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité, Dr Gisèle Gremmo-Féger.
- Nos autres articles sur les freins restrictifs buccaux
Article rédigé par :
- Elise Armoiry, consultante en lactation ibclc, rédactrice pour IPA,
- Delphine SAINTIGNY, infirmière puéricultrice, consultante en lactation IBCLC, Présidente d’IPA
- Marie-Xavier LAPORTE, infirmière, diététicienne, Vice-présidente d’IPA.
Publié par : KM, Documentaliste IPA.
Mise à jour le 04/02/2021
Mots clés : ankyloglossie, consensus, frein de langue, frein labial, freins restrictifs buccaux