Regard d’une consultante en lactation IBCLC sur l’ouvrage « Why Infant Reflux matters »

21 juillet 2022 | Veille biblio
couverture du livre Why Inflant Reflux Matter

Nous vous présentons ce livre par Carol Smyth , IBCLC anglaise, concernant la prise en charge du reflux gastro œsophagien (RGO) chez le nourrisson (notamment en cas d’allaitement) aux éditions Pinter et Martin.

Dans une première partie très détaillée, l’autrice nous présente ce qu’est le RGO: l’anatomie du reflux,  la différence entre régurgitations dûes à un trop-plein et reflux pathologique douloureux, le rôle de l’acidité gastrique, les traitements médicamenteux et leurs effets secondaires, l’influence des repas de bébé sur le reflux, les symptômes du reflux et leur diagnostic différentiel .

La seconde partie est consacrée aux parents : un pas-à-pas pour déterminer si leur bébé a vraiment un reflux pathologique, et des propositions s’il s’agit d’un autre problème.

 

Les éléments anatomiques et physiologiques  sont rappelés, notamment:

le trop-plein et les mouvements de pression sur l’estomac (par exemple lors du change) peuvent générer des remontées de lait de l’estomac, remontées qui ne sont pas forcément acides et douloureuses.

la différence de profil d’acidité gastrique entre les adultes (qui mangent de la nourriture solide) et des bébés dont le régime principal est le lait (aliment « tampon »)

En effet, l’acidité est moins importante chez le nourrisson que chez l’adulte, de manière physiologique. Le lait est un aliment « tampon » qui augmente le ph de l’estomac (donc réduit l’acidité).

Le lait maternel se digère très rapidement : des tétées fréquentes permettent de maintenir un ph supérieur à 4 (On considère qu’il faut pH inférieur à 4 pour avoir un reflux acide). Par contre, le fait d’espacer les tétées entraîne une baisse du ph dans l’estomac.

En cas de RGO avéré, c’est pour cela que l’on propose de fréquentes petites tétées plutôt que d’espacer les tétées.

➔ Les cellules de l’œsophage sont bâties pour supporter des ph très acides: Lorsque  l’on a fait couler de l’acide chlorhydrique de ph=1 dans l’œsophage de volontaires sains (test de Bernstein), il n’y a pas de douleurs.

Les cellules de la paroi de l’œsophage sont capables de se protéger par différents mécanismes: sécréter du bicarbonate (alcalin) en réponse à l’acidité pour tamponner cette acidité, excréter activement l’acide, ou absorber de l’eau pour le diluer.

Par contre, si les cellules de la paroi de l’œsophage sont abîmées et ne sont plus jointes  : les remontées liquides provenant de l’estomac seront douloureuses. La filaggrin est une protéine qui « cimente »  les cellules de la paroi de l’œsophage entre elles. Si cette filaggrin est présente en faible quantité: il y a plus de risques de souffrir des remontées acides. On observe des taux faibles de cette protéine en cas d’allergie alimentaire, d’eczéma, rhume des foins et asthme.

➔ le rôle de l’acide gastrique dans la digestion (décomposition des aliments dont les composants seront absorbés lors de la digestion), mais aussi pour protéger des bactéries néfastes pour l’organisme. Ainsi, un traitement anti-reflux peut augmenter le risque infectieux chez le nourrisson.

L’autrice remet donc en cause la « théorie de l’acidité » sur laquelle se basent les traitements anti-reflux, parce qu’en cas d’allaitement à la demande , avec des tétées fréquentes, le contenu de l’estomac ne sera pas forcément très acide.

 

Elle revient ensuite sur les critères d’efficacité parfois mitigés de ces médicaments, et les potentiels effets indésirables des différents traitements, notamment:

  • L’impact négatif sur l’appétit des alginates type Gaviscon, à prendre en compte si déjà la prise de poids de l’enfant est problématique
  • Le risque de fracture et d’infections avec les suppresseurs d’acidité (inhibiteurs de la pompe à protons ou anti H2)

Les différents signes cliniques du RGO pathologique sont rappelés: les pleurs importants (détresse marquée), l’apnée, l’enrouement, les difficultés inexpliquées pour s’alimenter, otites, infections respiratoires basses, difficultés de croissance, toux chronique, érosion dentaire, asthme. Le NICE (organisme anglais équivalent à la HAS) estime qu’il faut 2 symptômes chez le bébé pour investiguer un RGO.

L’autrice explique que dans sa pratique, la plupart des bébés auxquels on prescrit un traitement anti-reflux ont pour symptômes: une détresse marquée et des difficultés de croissance ou pour s’alimenter, qui sont des signes qui peuvent avoir d’autres causes liées à des difficultés d’allaitement ou à la physiologie de l’enfant et son environnement.

Les pleurs, le fait que le bébé se cambre en arrière, soit agité lors de la tétée, refuse de dormir sur le dos, se réveille lorsqu’on le pose, …. Tous ces « signes » sont parfois considérés comme résultants d’un RGO pathologique  alors qu’ils peuvent être dus à des difficultés d’allaitement (faim, tétées trop espacées, réflexe d’éjection fort, surcharge en lactose…) ou  correspondre à un autre besoin de l’enfant : besoin de changer d’environnement, de « nourriture sensorielle » .

L’autrice évoque également le cercle vicieux du stress de la maman et la contagion émotionnelle, et surtout, en filigrane tout au long du livre: le besoin de contact du petit mammifère.

La « surmédicalisation » de situations par ailleurs  normales est problématique: notre regard culturel occidental exige de l’enfant un comportement qui n’est pas possible d’un point de vue biologique…. un bébé qui se réveille lorsqu’on le pose, mais qui dort très bien allongé sur le dos dans les bras de sa maman n’a pas un reflux douloureux: il a besoin des bras de sa mère.

 

J’ai donc beaucoup apprécié ce livre:

  • Parce que Carol Smyth nous rappelle tout au long de l’ouvrage quelle est la norme biologique chez le bébé (être porté, être nourri très fréquemment,.…) . Elle redéfinit clairement la physiologie et la pathologie en ce qui concerne le RGO. Et elle interroge la tendance actuelle dans les pays industrialisés à interpréter des comportements normaux du nourrisson sous une loupe médicale et à proposer des traitements médicamenteux plutôt qu’accompagner les parents dans la découverte de leur enfant.
  • Parce qu’il comporte de nombreuses références scientifiques de qualité.
Ce livre est disponible sur demande chez IPA. Voir les conditions de consultation au Centre de Ressources CERDAM d’IPA 
Présentation française par Elise Armoiry, Consultante en lactation IBCLC

Pour aller plus loin  :

Publié par : JC, Documentaliste IPA. 

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