Ankyloglossie (freins restrictictifs buccaux) : Prise de position de l’Academy of Breastfeeding Medicine
Les freins sont un sujet récurrent en consultation de soutien à l’allaitement où la question de la présence de freins de langue (ankyloglossie) ou de lèvre et de leur rôle dans les difficultés d’allaitement est fréquemment posée par les mères, parfois anxieuses en raison des informations diffusées sur les réseaux sociaux ou des chaînes YouTube.
En France, on observe des dyades mère-enfant multipliant les consultations de professionnels (chiropracteur, ostéopathe, consultante en lactation, ORL, orthophoniste), avec à la clé une ou plusieurs frénotomies (de langue, de lèvre, ou de freins buccaux), et des semaines à pratiquer des massages sur le visage ou dans la bouche et sous la langue de l’enfant.
En l’absence de recommandations françaises, nous vous avions présenté en octobre dernier deux conférences de consensus, australiennes (1) et américaines (2), concernant les freins restrictifs buccaux (freins de langue, freins de lèvres et freins de joue).
Récemment, un article reprenant l’historique de ce nouveau phénomène observé en consultation de lactation a également été publié sur le site Co-Naitre.
L’Academy of Breastfeeding Medicine est une organisation internationale de médecins spécialisés dans le domaine de l’allaitement maternel. Elle publie notamment la revue scientifique « Breastfeeding Medicine » ainsi que des protocoles de prise en charge pour différentes situations cliniques d’allaitement . Elle vient de publier une prise de position sur l’ankyloglossie chez les dyades allaitantes (3)*.
En se basant sur une étude de la littérature scientifique, et en soulignant le manque d’études de qualité et de haut niveau de preuve, les auteurs abordent les différentes problématiques de la prise en charge des ankyloglossies.
Après une description de l’anatomie du frein de langue et de la succion, ce rapport reprend les thèmes suivants :
- les implications cliniques d’un frein de langue restrictif : douleurs aux mamelons, tétées prolongées, prise de poids insuffisante notamment. Les auteurs mentionnent que ces mêmes signes sont fréquents chez les dyades allaitantes et peuvent avoir d’autres causes, d’où l’importance d’une évaluation globale de l’allaitement, incluant les diagnostics différentiels.
- les outils diagnostics : il existe plusieurs échelles d’évaluation, qui varient dans leur complexité et leur fiabilité interévaluateur (d’une personne à une autre le résultat obtenu varie). Les auteurs soulignent que ces outils ne peuvent pas être utilisés seuls pour décider d’une frénotomie. Ils mettent en avant l’importance, en plus de ces outils d’évaluation, d’une évaluation de l’allaitement avec historique, examen physique de la mère et de l’enfant, observation d’une tétée, et éventuellement tétée-pesée.
- la prise en charge conservatrice des problèmes d’allaitement : la plupart des problèmes peuvent être gérés par du personnel qualifié en allaitement, en modifiant la prise du sein ou avec des outils tels que les bouts de sein, le DAL, le tirage du lait, en attendant une possible amélioration de la prise du sein lorsque l’enfant grandit. Mais il y a peu d’études concernant l’efficacité de cette prise en charge non-chirurgicale à long terme.
- la prise en charge chirurgicale : les auteurs évoquent une revue systématique Cochrane de 2017, dont les 5 études comportaient des facteurs limitants : manque de définition standardisée du frein de langue et de la méthode de traitement, petits échantillons, manque de données de suivi à long terme. Beaucoup de questions restent présentes : le moment optimal pour réaliser la frénotomie, ou les conséquences à long terme du traitement ou de l’absence de traitement.
- les indications de la frénotomie.
Les auteurs définissent le frein de langue « classique » : un frein visible lors de l’élévation de la langue, et qui réduit sa fonction. Selon eux :
La présence d’un frein de langue classique seul, sans signes associés de dysfonction, n’est pas une indication pour une frénotomie.
La frénotomie d’un frein de langue « classique » peut améliorer les douleurs aux mamelons ou le transfert de lait.
- la technique de frénotomie : l’utilisation de ciseaux pour les freins de langue « classiques » est la technique de référence par rapport au scalpel, au laser et à l’electrocautérisation pour lesquels le recul est moins important. Il n’y a pas d’études comparant les différentes méthodes chirurgicales. Les cliniciens devraient informer les parents des risques de la chirurgie.
En cas d’incision profonde (plus que pour une incision de frein de langue classique), il y a risque de : saignement, hématome, atteinte de tissus collatéraux ou incision de nerfs avec paresthésies et engourdissement de la langue. La douleur après cette procédure peut conduire à une aversion orale. Les auteurs mentionnent un cas publié d’aversion orale associée à une infection de la plaie à Staphylocoque doré, et plusieurs cas reportés d’hémorragies importantes, ce qui montre les complications sérieuses possibles en cas de frénotomie.
- La prise en charge post-frénotomie : les auteurs estiment qu’un suivi clinique après frénotomie est indispensable, afin d’évaluer l’efficacité de la chirurgie et de documenter toute complication chez l’enfant : saignement persistant, douleur, complication ou arrêt de l’allaitement après la procédure.
Ils précisent également que :
- Il n’y a pas de preuve de l’intérêt de manipulation ou étirements de la plaie après la frénotomie, ou l’utilisation de crèmes à appliquer sur le site d’incision.
- Il n’y a pas de preuve de l’intérêt de réaliser une frénotomie pour un frein labial ou des freins buccaux pour améliorer le transfert de lait ou les douleurs du mamelon chez la mère.
Enfin les auteurs soulignent le besoin d’études scientifiques de qualité afin de répondre aux questions en suspens, par exemple sur la définition du frein de langue, le degré d’incision requis, la documentation des complications immédiates et à long terme.
En conclusion, le point de vue de l’Academy of Breastfeeding Medicine est très similaire aux conférences de consensus australiennes et américaines. Nous remercions les auteurs pour ce travail documenté, basé sur les preuves, et pertinent pour la pratique des consultant.e.s en lactation.
Bibliographie :
- Australian Dental Association 2020. Ankyloglossia and Oral Frena C Consensus Statement. [en ligne]. Disponible ici. Consulté le 08/10/2020
- Anna H. Messner, Jonathan Walsh, Richard M. Rosenfeld et al. Clinical Consensus Statement: Ankyloglossia in Children. Otolaryngology, Head and Neck Surgery, 2020, Vol. 162(5).pp 597–611.Consulté le 08/10/2020
- Yvonne LeFort, Amy Evans, Verity Livingstone, et al. Academy of Breastfeeding Medicine Position Statement on Ankyloglossia in Breastfeeding Dyads. Breast. Med. Vol 16, N 4, 2021. Consulté le 21/04/2021 *
Pour aller plus loin
- Freins restrictifs buccaux, présentation de 2 rapports d’experts en 2020
- Les problèmes d’allaitement devrait être le seul critère pertinent pour décider s’il y a lieu de pratiquer une frénotomie chez l’enfant en bas âge
- Ressources du fonds documentaire d’IPA : Supporting Sucking Skills in Breastfeeding infants, Catherine Watson Genna , 2nde edition (2013) : regard d’une consultante en lactation
- Bibliographie : revues systématiques et méta-analyses sur les freins de langues et de lèvres, 2016/2020
- La saga des « freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité, Dr Gisèle Gremmo-Féger.
*Cet article est disponible sur demande chez IPA.
La revue Breastfeeding Medicine est consultable sur place sur RDV ou en prêt pour les adhérents.
Voir les conditions de consultation au Centre de Ressources CERDAM d’IPA.
Article rédigé par :
- Elise Armoiry, consultante en lactation IBCLC, rédactrice pour IPA,
- Delphine SAINTIGNY, infirmière puéricultrice, consultante en lactation IBCLC, Présidente d’IPA
- Marie-Xavier LAPORTE, infirmière, diététicienne, titulaire DIULHAM, Vice-présidente d’IPA
Publié par : JC, Documentaliste IPA.
Mots clés : ABM, ankyloglossie, consensus, frein de langue, frein labial, freins restrictifs buccaux, frénotomie