Tabac, nicotine, cigarette électroniques, méthodes de sevrage tabagique et allaitement maternel
Fumer et allaiter : est-ce compatible ? IPA fait le point sur les données scientifiques disponibles
En France en 2021, l’enquête Périnatale de Santé Publique France (1) rapporte qu’au cours du troisième trimestre de la grossesse
- 12% des femmes enceintes déclaraient fumer du tabac
- 1,3 % déclaraient fumer des cigarettes électroniques
Par ailleurs, 16,7 % déclaraient fumer 2 mois après la naissance : 14,6 % des cigarettes classiques, et 1,5% des cigarettes électroniques, 0,5 % les deux.
La naissance est parfois l’occasion de reprendre le tabac pour des femmes ayant arrêté de fumer durant la grossesse, et l’allaitement peut contribuer à décourager cette reprise (1-3)
Certaines mères continuent à fumer durant l’allaitement car la pause cigarette est le seul « temps pour soi » pour surmonter la fatigue dans un quotidien chamboulé par l’arrivée du nouveau-né (4).
IPA fait le point sur les données scientifiques disponibles à connaître en tant que professionnel·le de santé pour soutenir l’allaitement maternel et accompagner les mères allaitantes quel que soit leur statut tabagique.
Impact du tabac sur l’allaitement maternel
Même si il n’est pas une contre-indication à l’allaitement maternel (5), le tabagisme a des effets bien documentés sur la lactation et l’enfant (2-7):
Du fait de l’exposition au tabac durant la grossesse et du passage des composants du tabac dans le lait maternel, notamment la nicotine, on observe :
- Un possible effet de l’exposition à la nicotine durant la grossesse sur les capacités de succion du nouveau-né : une succion possiblement moins efficace
- Une diminution de la production de lait due à la nicotine, qui diminue la prolactine, et un possible impact sur la prise de poids
- Une modification de la composition du lait maternel : lait maternel moins riche en lipides, aux propriétés anti-oxydantes diminuées, et altération du statut immunitaire. Il y a aussi un transfert d’autres substances que la nicotine (comme le plomb ou le cadmium)
- Un possible sevrage précoce : Les fumeuses introduisent des compléments de lait artificiel plus rapidement et sèvrent précocement, peut-être en raison de la diminution de production de lait, mais également possiblement en raison de l’anxiété liée à la situation et de la croyance des parents fumeurs qu’ils risquent « d’intoxiquer bébé avec leur lait » et protègent mieux leur enfant en les nourrissant avec du lait artificiel.
Chez l’enfant allaité par une mère fumeuse, on observe :
- D’avantage de coliques
- D’avantage de problèmes respiratoires (dus au tabagisme passif), mais ce risque diminue avec la durée d’allaitement, notamment si elle est supérieure à 4 mois (5)
- Une annulation de l’effet protecteur contre la mort inattendue du nourrisson (MIN): en effet le tabac est une cause majeure de MIN. L’allaitement réduit le risque de MIN, mais le fait de fumer annule cet effet bénéfique.
- Un possible impact sur le métabolisme à l’âge adulte puisque la nicotine est un perturbateur endocrinien : risque d’obésité et troubles endocriniens décrit notamment dans des études chez l’animal (8)
- Une augmentation du risque d’asthme et de problèmes pulmonaires à l’âge adulte (3)
Pourtant, on estime que pour les enfants de parents fumeurs, le bénéfice du lait maternel reste supérieur à l’utilisation de préparations pour nourrissons (lait artificiel en poudre). En effet, allaiter protège l’enfant des infections, et le lait maternel contient des composants qui ne sont pas disponibles dans le lait artificiel.
Ainsi Tabac info service indique :
« Les bienfaits de l’allaitement sont supérieurs aux inconvénients chez la femme allaitante qui fume, à condition que l’allaitement dure plus de 6 mois. » et
« L’idéal reste l’arrêt du tabac pendant l’allaitement. S’il vous est impossible d’arrêter complètement la cigarette, quelques mesures permettront de limiter l’exposition de votre bébé allaité
- Réduire votre consommation (car les effets augmentent avec elle),
- Fumer juste après la tétée plutôt qu’avant ou pendant (la quantité de nicotine reçue par le bébé est jusqu’à dix fois plus forte si la mère a fumé juste avant la tétée) ; si possible, attendre deux heures après avoir fumé pour mettre l’enfant au sein, »
Il est possible de rajouter les mentions suivantes :
- Eviter de fumer dans la même pièce que bébé, couvrir ses vêtements pour fumer et se changer et se laver les mains pour tenir l’enfant dans ses bras (3)
- Surveiller la prise de poids de bébé (6), et se faire aider par un professionnel lors de l’allaitement (9)
- Éviter le “cododo” (fumer étant un facteur de risque de MIN)
- Prolonger au maximum la durée d’allaitement maternel (afin de contrebalancer les effets néfastes du tabagisme maternel sur la survenue de pathologies infantiles)(5)
- Utiliser des techniques de relaxation pour soulager le stress, autres que la cigarette. La HAS (10) mentionne les thérapies cognitivo-comportementales, ou encore l’acupuncture et l’hypnothérapie, bien que ces thérapies n’aient pas fait preuve de leur efficacité.
Cas particulier du don de lait maternel : Fumer n’est pas une contre-indication à l’allaitement maternel mais c’est une contre-indication au don de lait maternel (11)
Est-ce que les thérapies de sevrage du tabac sont compatibles avec l’allaitement ?
Le rapport d’experts concernant la consommation tabagique durant la grossesse indique que « l’allaitement maternel étant un facteur associé à la réduction de la consommation tabagique et/ou au sevrage (NP2), il est recommandé de promouvoir l’allaitement maternel chez les femmes non sevrées afin de limiter la consommation tabagique ». (2)
Selon des études américaines, il semble que les professionnels de santé ne soient pas toujours à l’aise pour conseiller l’allaitement aux femmes fumeuses, ou pour prescrires des substituts nicotiniques aux femmes allaitantes (2)
Les substituts nicotiniques
Les substituts nicotiniques exposent le bébé à la nicotine, mais évitent l’exposition aux autres composés chimiques de la fumée de tabac (4). Les patchs délivrent une faible dose continue de nicotine, alors que les gommes et sprays délivrent de plus fortes doses uniquement au moment de l’utilisation.
Les substituts nicotiniques ne sont pas contre-indiqués pendant l’allaitement et sont préférables aux cigarettes (5,7).
Anderson (3) souligne que la nicotine peut augmenter le risque de MIN et impacter le fonctionnement des poumons chez l’enfant, et explique que pour cette raison plusieurs auteurs recommandent de ne pas utiliser la nicotine, sous quelque forme que ce soit, chez la mère allaitante. Toutefois le Centre de référence des agents tératogène (CRAT) (12) mentionne qu’à ce jour aucun élément inquiétant n’a été signalé chez les enfants allaités de mère sous substitution nicotinique.
Dans les études sur la production de lait lors de port de patchs nicotiniques, la production de lait était similaire à celle des fumeuses, et on observait une légère diminution de production par rapport aux non-fumeuses.
Avec les gommes et spray : il y a un pic de nicotine, aussi on recommande de les utiliser après les tétées, et ainsi de limiter l’exposition du bébé à la nicotine.
Lors de l’utilisation de patchs, il y a une libération continue de nicotine, mais à un niveau plus faible qu’avec les gommes et spray. Le Dr Wendy Jones conseille d’enlever le patch la nuit pour diminuer l’exposition du bébé à la nicotine la nuit.
Prise en charge pharmacologique :
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- Le bupropion ZYBAN LP
Le bupropion LP est une molécule amphétaminique utilisée comme antidépresseur et ayant l’indication du sevrage tabagique. Selon plusieurs études, l’enfant allaité recevrait environ entre 2% et 5% de la dose maternelle rapportée au poids de bupropion et de ses métabolites. (3)
En France, Le CRAT (13) mentionne que l’utilisation du bupropion est envisageable avec l’allaitement. Toutefois, la revue Prescrire (14) rapportait, en 2005, un cas de convulsion chez un enfant allaité de 6 mois, 4 jours après le début de ce traitement. D’autres cas de convulsions ont été rapportés (3), chez des bébés de plus de 6 mois allaités et dont la mère prenait du bupropion, et le lien avec l’allaitement n’a pas été clairement établi.
La HAS ne recommande pas son utilisation chez la femme qui allaite (5).
De même, en Angleterre, le NHS ne recommande pas ce traitement dans le cadre de l’allaitement (15).
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- La Varénicline CHAMPIX
Cette molécule se fixe sur les récepteurs nicotiniques dans le cerveau, avec une plus grande affinité que la nicotine, diminuant les effets de celle-ci.
Il n’y a pas de données sur le passage de cette molécule dans le lait maternel (3,16), aussi son usage pour le sevrage tabagique de la mère allaitante n’est pas recommandé, notamment par la HAS (5).
Cas particulier des cigarettes électroniques – vaping
Les produits de vapotage, plus connus sous le nom de cigarettes électroniques, sont des dispositifs électroniques destinés à simuler l’acte de fumer du tabac, par le biais d’un liquide, qui sous l’action du chauffage produit une vapeur ou « fumée artificielle ». Les liquides utilisés peuvent contenir ou non, de la nicotine. Ces dispositifs peuvent être jetables ou rechargeables. (17)
Ils sont utilisés dans certains cas pour arrêter de fumer, bien que le haut Comité de Santé Publique souligne que “ les connaissances fondées sur les preuves sont insuffisantes pour proposer les Systèmes Électroniques de délivrances de la Nicotine comme aides au sevrage tabagique dans la prise en charge des fumeurs par les professionnels de santé.” (18)
Anderson, dans sa revue (3) mentionne :
“ Des méta-analyses récentes indiquent [que les produits de vapotage] peuvent être efficaces pour aider les fumeurs à arrêter de fumer. Certaines mères qui ont fumé avant la grossesse utilisent des cigarettes électroniques après l’accouchement pour éviter de reprendre le tabac”.
Les vapeurs des produits de vapotage à la nicotine contiennent des substances potentiellement toxiques et cancérigènes similaires à celles de la fumée de tabac, mais à des niveaux inférieurs. De même, l’urine des utilisateurs contient des niveaux plus faibles de toxines et de cancérigènes en comparaison de l’urine des fumeurs de tabac.
Il est possible que certaines de ces substances pénètrent dans le lait maternel, mais aucune étude n’a été réalisée pour mesurer la nicotine ou d’autres substances toxiques dans le lait ou des effets sur les nourrissons.
Anderson rapporte également une analyse récente des données du système d’évaluation et de surveillance des risques de grossesse ayant révélé que les femmes qui utilisaient ces dispositifs au cours des 3 derniers mois de grossesse (et qui continuaient probablement pendant l’allaitement) étaient moins susceptibles d’allaiter à 3 mois après l’accouchement que les mères qui ne les utilisaient pas (40,8 % contre 68,5 %). On peut supposer, comme pour les substituts nicotiniques, que la production de lait est diminuée avec les cigarettes électroniques.
En France, il n’y a pas de recommandations d’utilisation de ces produits dans le sevrage, et le HCSP ne considère que le cas de leur utilisation chez la femme enceinte, pas chez la femme allaitante.
En Angleterre, le NHS souligne que ces produits n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché contrairement aux substituts nicotiniques mais qu’il vaut mieux poursuivre l’allaitement que l’arrêter si on les utilise (15). Les mêmes indications sont réalisées aux Etats Unis. (19)
En conclusion :
- Il est préférable d’arrêter de fumer si on allaite.
- Si l’on continue de fumer en allaitant : il est préférable de réduire sa consommation, de fumer après la tétée, et d’attendre 2 heures avant la prochaine tétée.
- Prolonger au maximum la durée de l’allaitement permet de réduire l’impact de l’exposition au tabac sur l’enfant
- Les substituts nicotiniques sont les produits de sevrage tabagiques utilisables durant l’allaitement,
- Le bupropion et la varénicline ne sont pas recommandés pour le sevrage tabagique en cas d’allaitement.
- Les cigarettes électroniques n’ont pas été évaluées dans l’allaitement, mais le NHS anglais et le CDC américain estiment que l’on peut continuer leur utilisation en allaitant.
Bibliographie
- Santé Publique France. Enquête périnatale 2021. Disponible ici. Consultée le 21/10/2022
- Le Lous et al. Tabagisme et allaitement – Rapport d’experts et recommandations CNGOF-SFT sur la prise en charge du tabagisme en cours de grossesse. Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie [en ligne]. Juillet 2020, Vol. 48, nᵒ 7‑8, p. 612‑618. DOI 10.1016/j.gofs.2020.03.032. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Anderson P. O. Breastfeeding with Smoking Cessation Products. Breast Med Vol 16(10). LactMed Update. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Breastfeeding Network. Wendy Jones. Smoking, smoking cessation and breastfeeding. 2019. Disponible ici. Consulté le 23/09/2022/
- Haute Autorité de Santé. Recommandations de Bonne pratique. Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours.2014.Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Mohrbacher N. Breastfeeding Answers. A guide for helping families. 2nd edition. 2020. Consulté le 22/09/2022 (Disponible au prêt chez IPA)
- Tabac Info Services. Question-réponses. Tabac et allaitement. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Miranda RA, et al. Tobacco smoking during breastfeeding increases the risk of developing metabolic syndrome in adulthood: Lessons from experimental models. Food Chem Toxicol. 2020 Oct;144:111623. doi: 10.1016/j.fct.2020.111623. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Academy of Breastfeeding Medicine. Protocol 21. Guidelines for Breastfeeding and Substance Use or Substance Use Disorder, Revised 2015. Med Vol 10 (3) 2015. Disponible en anglais ici Disponible en français ici. Consulté le 26/09/2022
- Haute Autorité de Santé. Sevrage tabagique des outils pour repérer et accompagner les patients. 2018. Disponible ici Consulté le 20/09/2022
- Association des Lactariums de France. Tabac et allaitement maternel. 2016 Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Centre de Référence des Agents Tératogènes. Feuillet Substituts nicotiniques. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Centre de Référence des Agents Tératogènes. Feuillet Bupropion. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Revue prescrire.2005. Bupropion : déconseillé, particulièrement pendant l’allaitement. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Nhs website. Breastfeeding and Smoking. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Centre de Référence des Agents Tératogènes. Feuillet Varénicline. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Ministère de la Santé et de la Prévention. Produits de vapotage/ cigarettes électroniques. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Haut Conseil de Santé Publique. Avis relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022
- Center for Disease Controle and Prevention. Breastfeeding, Tobacco and e-cigarettes. Disponible ici. Consulté le 22/09/2022.
Rédaction par Elise Armoiry, Consultante en lactation IBCLC, publié par : JC, Documentaliste IPA.
Remarque: Cet article est destiné aux professionnels de santé accompagnant les mères dans leur projet d’allaitement maternel. Si vous êtes un parent concerné par cette problématique nous vous invitons à vous rapprocher de votre professionnel de santé afin de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.