Une revue systématique explique la nécessité de prendre en compte le contexte d’exercice du soutien à l’allaitement pour des interventions efficaces

Les preuves issues de la recherche scientifique existante démontrent qu’un soutien organisé par des accompagnant·es formé·es à l’allaitement, que ces personnes soient professionnelles ou non, peut prévenir l’arrêt précoce et involontaire de l’allaitement. Le soutien à l’allaitement est considéré comme une intervention complexe qui implique le partage de conseils et d’informations, l’offre une aide qualifiée, le réconfort et l’augmentation de la confiance de la mère  dans les interactions interpersonnelles. Le personnel de santé impliqué dans les services de santé maternelle et infantile, les consultant·es en lactation et les bénévoles formé·es qui ont reçu une formation sur la manière d’aider les femmes à allaiter sont essentiel·les à la mise en œuvre de services de soutien à l’allaitement efficaces.

Aider les femmes qui souhaitent allaiter à atteindre leurs objectifs d’allaitement dans le cadre d’une intervention fondée sur des données probantes (evidence-based) semble être une tâche simple. Cependant, de nombreuses femmes cessent d’allaiter avant d’avoir l’intention de le faire et certaines femmes sont déçues du soutien qu’elles reçoivent de personnes pourtant formé·es à l’accompagnement de l’allaitement maternel. Peu d’attention est accordée à l’influence de facteurs autres que la recherche factuelle sur la pratique du personnel de santé en matière d’allaitement.

Cette étude a souhaité explorer ce manque de connaissances dans le contexte du soutien à l’allaitement par des personnes formées , qu’elles soient professionnelles ou non, sachant que la méthodologie dans le cadre d’interventions complexes de recherche médicale (Medical Research Complex interventions framework) souligne l’importance du contexte de mise en œuvre de l’intervention, autant que l’intervention elle-même pour des résultats positifs.

Trois questions de recherche ont été posées dans cette revue

Que sait-on des expériences qui influencent les pratiques de soutien à l’allaitement ?

Indépendamment de la formation suivie, l’histoire de vie personnelle et les raisons de la pratique de soutien à l’allaitement influencent la manière dont les accompagnant·es jouent leur rôle. Une philosophie de soutien à l’allaitement se développe au fil du temps. Les philosophies positives et résilientes du soutien à l’allaitement maternel sont alimentées par des expériences personnelles positives, la croyance en la valeur et le processus de l’allaitement maternel, des actions qui permettent une communication ouverte avec les femmes, des ressources adéquates en termes de main-d’œuvre et de temps à consacrer aux femmes, et des sources d’information appropriées pour enrichir la pratique.

Comment ces expériences sont influentes ?

Les résultats indiquent qu’une variété d’expériences influence la motivation des accompagnant·es et l’approche du soutien. Les décisions de s’éloigner pour laisser une femme apprendre elle-même à allaiter, de rester avec une femme et de passer du temps à discuter de son allaitement, ou de prendre le relais et d’intervenir sont modulées par la propre philosophie de soutien de la personne, son appropriation des connaissances des collègues, ses compétences et ses attitudes en matière d’allaitement, son implication dans des soins ou interactions avec la mère antérieures à la consultation. L’impact sur la pratique de ces expériences est fluctuant, elles peuvent à la fois entraver et faciliter le soutien à l’allaitement. Soutenir telle mère, avec tel ou telle collègues, dans une organisation particulière influence les aspects comportementaux de la façon dont le soutien est offert.

Comment les expériences entravent ou facilitent l’offre de soutien ?

Le fait de croire en la valeur du lait maternel et de la relation d’allaitement, d’avoir des expériences personnelles positives, notamment d’avoir surmonté des difficultés, et d’utiliser un large éventail de sources de connaissances (y compris des retours et avis de mères soutenues) semble faciliter la réalisation d’un soutien à l’allaitement. Des relations honnêtes et de confiance avec les femmes, des relations collégiales respectueuses, l’apprentissage par les pairs et le soutien dans des organisations bien dotées en ressources qui valorisent visiblement l’allaitement maternel facilitent également un soutien compatissant à l’allaitement fondé sur des preuves.

Des expériences d’allaitement négatives ou aucune expérience d’allaitement peuvent faire douter de la valeur du lait maternel et de la relation d »allaitement, en particulier lorsque les mères sont aux prises avec des problèmes pour nourrir leur enfant. L’observation de comportements de collègues peut renforcer des pratiques obsolètes ou insensibles. Les réductions de financement des services de soutien à l’allaitement et le manque d’opportunités de formation au-delà d’un niveau de base envoient le signal que le soutien à l’allaitement n’est pas valorisé par une organisation. Le manque de points de référence, personnels et professionnels, sur un allaitement réussi (y compris l’absence de retours des mères) peut résulter de soins fragmentés. Une conséquence d’un tel manque de rétroaction est qu’il y a une absence de reconnaissance de « ce qui fonctionne » dans la pratique, ce qui limite la croissance et la progression dans la philosophie du soutien à l’allaitement.

Quatre thèmes principaux pour définir les expériences

L’étude a permis de faire apparaître quatre thèmes analytiques qui illustrent les expériences qui influencent la façon dont le soutien à l’allaitement est valorisé, hiérarchisé et mis en place dans la pratique.

Vous pouvez trouver le détail des thématiques et sous-thématiques dans les annexes de l’étude.

Les résultats révèlent que l’exposition à  ces diverses expériences sont présentes dans tous les types d’accompagnement (professionnel ou par les pairs) et s’appliquent à tous les contextes où le soutien peut être proposé (établissement de santé ou environnement personnel/familial).

Une philosophie personnelle du soutien à l’allaitement

Le message clé est que l’approche et le comportement des accompagnant·es lors des rencontres de soutien à l’allaitement sont fondés sur la façon dont ils donnent personnellement un sens à l’allaitement. L’exposition à un soutien à l’allaitement sensible et qualifié dans la pratique, une éducation fondée sur des preuves et des opportunités de recadrer les expériences négatives par la réflexion sont nécessaires pour développer une philosophie positive du soutien à l’allaitement. Les expériences antérieures et actuelles d’allaitement et de soutien à l’allaitement sous-tendent ce qui est valorisé dans le partage d’informations et l’enseignement de techniques pratiques.

Divers styles de pratiques ont été identifiés dans des recherches antérieures sur la perception de la femme du soutien à l’allaitement reçu. Par exemple si la personne était perçue comme authentique ou déconnectée, ou encore agissant comme un·e partenaire qualifié·e ou plutôt un·e expert·e technique. Les conclusions de cette revue systématique donnent un aperçu de ces variations. Les accompagnant·es avaient tendance soit à intervenir directement, soit à prendre leurs distances pour que la femme apprenne par elle-même, soit à être présent·es avec la femme pour discuter de son allaitement et apporter un soutien dans une approche de partenariat.

Le temps passé avec les femmes, le type d’informations et d’encouragements donnés et le comportement pendant l’aide qualifiée dépendent à la fois de la philosophie de soutien de la personne et de sa capacité à pratiquer selon sa philosophie dans son lieu de travail particulier ou dans son cadre de bénévolat.

Le travail d’équipe et les tensions dans la pratique

Ce thème a souligné l’importance des relations collégiales dans la pratique. Le développement de communautés de pratique de l’allaitement maternel avec des collègues compétent·es et motivé·es améliore le travail d’équipe et minimise les tensions.

Une collaboration positive, des systèmes de référence efficaces entre les personnes impliquée et l’expérience de faire partie d’une équipe bien informée qui valorise l’allaitement facilitent la création d’opportunités d’apprentissage ad hoc, un accès facile à l’expertise en allaitement et la liberté de consacrer du temps au soutien à l’allaitement sans subir la désapprobation des collègues.

Les consultantes en lactation ont été identifiées comme de bonnes ressources pour le personnel clinique lors de leur intégration dans des structures de soins.

Ces résultats soutiennent l’idée que l’apprentissage informel et la modélisation de rôles par des experts en pratique dans des contextes de soutien à l’allaitement multisectoriels sont des expériences utiles qui développent la confiance dans les compétences de soutien à l’allaitement. Le défi consiste à combiner tous ces éléments au sein d’une même organisation de manière durable, ce qui nécessite la valorisation de ces modèles de fonctionnement.

Il faut également être vigilant quant à l’influence des environnements avec des tensions dans la pratique en raison des différences dans les philosophies individuelles de soutien à l’allaitement. Les résultats démontrent que les accompagnant·es peuvent ressentir la pression de leurs collègues pour minimiser leur rôle de soutien à l’allaitement ou s’écarter des données probantes pour libérer du temps pour d’autres tâches. Cela s’ajoute aux preuves existantes selon lesquelles l’expérience de collègues ayant des pratiques obsolètes ou incohérentes entravent l’offre d’un soutien à l’allaitement efficace.

Il y a un besoin d’éducation continue sur l’allaitement dans la pratique avec l’opportunité pour le personnel de réfléchir ensemble sur et dans la pratique. De manière pragmatique, des présentations d’études de cas multisectorielles pourraient être programmées dans le cadre de la formation continue à l’allaitement maternel, avec un apprentissage collaboratif et une exposition à des exemples positifs de la façon dont le soutien professionnel et par les pairs peut aider les femmes à surmonter les défis de l’allaitement. L’importance du travail collaboratif multisectoriel soutient une récente analyse qualitative des données probantes sur les expériences de soutien par les pairs à l’allaitement maternel qui a suggéré que les tensions entre les pairs aidants et les professionnel·les de la santé peuvent être surmontées en établissant des relations de confiance dans des services intégrés. Cette revue systématique élargit les connaissances sur les avantages du travail multisectoriel, car l’expérience de l’enthousiasme et des compétences d’une variété de personnes motivé·es permet à d’autres de développer leur propre confiance et leurs compétences dans la pratique, ce qui profite aux femmes et garantit que l’intégrité des services de soutien à l’allaitement soit maintenue.

La négociation des contraintes organisationnelles

Ce thème illustre comment le sous-financement et la faible priorisation des services de soutien à l’allaitement limitent l’accomplissement du rôle d’accompagnement.

La mise en œuvre et le financement complets d’interventions de soutien à l’allaitement fondées sur des données probantes sont impératifs pour permettre aux accompagnant·es de bénéficier des expériences valorisant l’allaitement et enrichissant leur pratique mentionnées précédemment.

Conformément à la littérature scientifique, les participant·es aux études incluses dans cette revue ont rapporté que travailler sous des contraintes organisationnelles, en particulier des contraintes de temps, entrave la pratique. Réaliser ses missions dans des services bien financés avec du personnel qualifié adéquat et disponible permet de soutenir significativement l’allaitement parce que le temps, la formation et les opportunités d’apprentissage informel sont disponibles.

Les résultats sont cohérents avec le Breastfeeding Gear Model, une approche multi-niveaux et multisectorielle pour intensifier la mise en œuvre des interventions qui identifie la mise à disposition de ressources et la volonté politique comme des facteurs indispensables qui permettent une mise en œuvre durable et efficace des interventions de soutien à l’allaitement maternel. Si les accompagnant·es connaissent un manque de ressources, il faut prendre des décisions sur la priorité des soins et le soutien à l’allaitement n’est pas prioritaire. Ces résultats corroborent les travaux d’autres études établissant un lien entre le manque de personnel et le manque de temps et le manque de soutien à l’allaitement,  et la perception des femmes selon laquelle les personnels sont incapables d’offrir un soutien à l’allaitement en raison d’un manque de temps et de ressources au sein des organisations de soins de santé. Les réductions de financement des services de soutien à l’allaitement nuisent donc non seulement aux expériences d’allaitement des femmes, mais également au développement du personnel. De telles réductions de services entravent l’exposition à l’allaitement maternel, ce qui pourrait influencer la philosophie de soutien personnelle des accompagnant·es de l’organisation. De plus, lorsque les organisations ne donnent pas la priorité à l’allaitement, le manque d’éducation à l’allaitement au-delà d’un niveau de base limite le développement de nouvelles connaissances, envoyant un signal que le soutien à l’allaitement n’est pas une priorité et les accompagnant·es perdent leur motivation à jouer leur rôle.

Les rencontres avec des femmes qui allaitent.

Ce thème décrit comment le fait d’interagir avec des femmes qui allaitent permet d’adapter le soutien aux besoins perçus par les femmes. Les modèles de continuité relationnelle dans le soutien à l’allaitement doivent être promus car ils favorisent la possibilité d’offrir un soutien individualisé à l’allaitement.

Il est connu que nouer une relation avec les femmes et communiquer ouvertement sur leurs objectifs d’allaitement permettent un soutien efficace à l’allaitement. Dans l’ensemble, cette revue systématique renforce l’idée que le soutien qui implique une compréhension des besoins et des préférences de la femme en matière d’allaitement peut être facilité par la continuité relationnelle de l’aidant·e. La relation a déjà été soulignée dans la littérature scientifique comme une composante importante du soutien à l’allaitement. Ces résultats concordent également avec les recherches soulignant la complexité d’offrir un soutien individualisé à l’allaitement parce que les accompagnant·es veulent soutenir l’allaitement sans pour autant paraître intimidant·e ou insistant·e auprès des femmes. Un examen des modèles de prestation de soins pourrait indiquer quels modèles accordent la priorité à la communication ouverte des objectifs des femmes et à une évaluation éclairée et sensible du besoin de soins individualisés pendant l’expérience d’allaitement. Ces résultats confirment que les femmes affichent une plus grande autonomie sur les questions d’allaitement lorsque la relation avec le prestataire de soins permet l’exploration des options ensemble.

En résumé

Cette synthèse thématique  a mis en évidence que les expériences dans la pratique et dans la vie personnelle peuvent à la fois faciliter et entraver la réalisation d’un soutien à l’allaitement. Les accompagnant·es ont besoin d’un soutien adéquat pour jouer leur rôle et pour comprendre comment leur positionnement façonne leurs valeurs et contribue à leur philosophie individuelle de soutien à l’allaitement.

Les expériences spécifiques au contexte peuvent être modifiables grâce à une meilleure hiérarchisation des services de soutien à l’allaitement et mises à disposition de ressources, au développement de communautés de pratique de l’allaitement au sein d’organisations permettant des opportunités d’apprentissage multidisciplinaires et multisectorielles, et à des modèles relationnels de soins correctement mis en œuvre et financés. Les expériences personnelles antérieures et les défis de la pratique qui influencent négativement sur le soutien peuvent être recadrés par une réflexion sensible lors de l’éducation formelle à l’allaitement et des débriefings informels avec d’autres accompagnant·es au sein d’une équipe bien formée et dotée de ressources.

Les interventions de soutien à l’allaitement doivent être fondées sur des preuves d’efficacité des résultats, sur les perspectives des femmes et, comme le montre cette revue, sur le contexte dans lequel l’accompagnant·e formé·e expérimente l’allaitement et le soutien à l’allaitement.

Des efforts continus sont nécessaires pour améliorer les expériences qui permettent un soutien efficace, comme l’apprentissage auprès d’experts en pratique, l’appartenance à une organisation qui valorise l’allaitement et le temps à passer avec les femmes.

• Consulter l’article intégral [eng.]

Chesnel MJ, Healy M, McNeill J. Experiences that influence how trained providers support women with breastfeeding: A systematic review of qualitative evidence. PLOS ONE, 2022, 17(10): e0275608. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0275608

Pour aller plus loin…

• Se former à l’accompagnement de l’allaitement chez IPA
• Présentation d’un guide pratique pour les professionnels de santé concernant le soutien à l’allaitement
• Attitudes professionnelles vis-à-vis de l’allaitement avant et après la mise en œuvre de l’Initiative Hôpital Ami des Bébés (IHAB)

Publié par : JC, Documentaliste IPA.

Mots clés : attitude vis-à-vis de l'allaitement, professionnel de santé, soutien